Effort sans effort
« Apprenez d'abord la concentration sans effort ; transformez le travail en jeu ; faites que tout joug que vous avez accepté soit doux et que tout fardeau que vous portez soit léger. »
22 méditations sur le Tarot, Valentin Tromberg, sur l'arcane 1, Le Bateleur.
« Sans même ouvrir sa porte, on peut connaître l'univers. Sans même regarder par la fenêtre, on peut comprendre le Tao. Plus on cherche à savoir, moins on comprend. Le Maître connaît sans chercher, voit sans regarder, accomplit sans effort »
Tao te king, XLVII, Lao Tseu
Comme pour toute chose en ce monde de dualité, il existe deux types d'efforts : l'effort avec effort et l'effort sans effort. Par définition et étymologie, l'effort a pour but de forcer, de résister et de vaincre. Comment un effort peut-il donc être sans effort ?
L'effort avec effort implique la volonté d'obtenir à tout prix un résultat donné. Il oblige à se faire violence. Il est contrainte et relève même parfois de l'acharnement. Pour certains c'est une vertu : plus on se donne du mal, plus on est méritant. D'autres le valorisent en le hissant à la fonction de dépassement de soi. Pour moi, c'est le signe que l'on poursuit le mauvais objectif pour de mauvaises raisons. Tout ce qui est accompli par la force est contre-productif au sens où le temps et l'énergie déployés ne sont jamais à la hauteur de la gratification que l'on en tire : la satisfaction d'avoir obtenu à grand peine le résultat est de courte durée car l'auto-coercition est stérile. Si le résultat n'est pas aligné sur nos propres aspirations, il ne pourra pas nous suffire longtemps. Les plus acharnés trouveront à s'imposer un nouvel effort, les autres en sortiront découragés. Dans tous les cas, l'effort sera davantage source de souffrance que de joie durable. De plus, se forcer à quoi que ce soit m'apparaît aussi comme un désamour de soi-même : je ne m'aime pas tel(le) que je suis, il faut que je « m'améliore », mais pour quoi et surtout, pour qui ?
En revanche, l'effort sans effort est tel la rivière qui, plutôt que de se lancer à l'assaut des rochers les contourne et poursuit son cours sans s'en soucier. Il n'est plus tension, mais aspiration. Nous obtenons avec aisance les résultats qui sont en harmonie avec nous-mêmes c'est-à-dire conformes au chemin que nous sommes venus suivre en cette incarnation. Nos objectifs conscients étant en résonance avec notre nature profonde, il arrive même parfois qu'ils semblent s'atteindre tout seuls. Ni auto-complaisance, ni paresse, ni passivité, le sans effort est acceptation et humilité. Il nous permet de nous laisser porter par un énigmatique courant qui nous dépasse, de laisser faire ce qui doit se faire sans rien attendre. Plus besoin de se débattre, plus besoin de forcer. Libérés de nos fardeaux, qui se dissolvent d'eux-mêmes, notre champ de vision se dégage, notre regard devient plus net, notre conscience se nettoie.
En l'état présent non de survie mais de vie ralentie, si ce n'est suspendue, l'effort avec effort n'a plus lieu d'être. Alors saisissons l'occasion qui nous est donnée d'être, simplement.