Archéologie aérienne
Pour moi, maturité est synonyme d'allègement. Au fil du temps, la recherche de l'essentiel s'impose, sans même que je m'y efforce : je me dépouille des gens et des choses pour ne garder que ce et ceux qui comptent vraiment. Même mon espace de vie va volontairement se réduire, comme si maintenant que mon espace intérieur n'a plus de limites, l'espace extérieur importait moins.
Cette période curieuse de fin d'un pan de vie et d'accueil du début d'un autre est propice à des observations amusées : depuis quelques jours, je n'arrête pas de rencontrer des gens que j'ai croisés de plus ou moins près et perdus de vue depuis des années. Comme si, maintenant que je pars, nous avions à nous dire adieu et à faire revivre un instant des moments qui se diluent pour moi dans un passé déjà brumeux. L'occasion néanmoins de me remémorer avec plaisir la richesse et la diversité de ce que j'ai vécu ici, mais sans nostalgie car le moment est venu de tourner cette page.
La transition dans laquelle je suis engagée me donne aussi la hauteur pour distinguer avec encore plus d'acuité le paysage de ma vie et les chemins qui le sillonnent. L'idée que nos vies soient tracées d'avance est dérangeante. Elle nous donne l'impression d'être des pantins et nous prive du sentiment de notre liberté, au sens illusoire que nous lui donnons. Elle peut aussi nous rendre paresseux : après tout, puisque c'est comme ça, il n'y a qu'à attendre que ça se passe.
Personnellement, je vois les choses autrement : la part de nous-mêmes qui transmigre a une destination claire pour la vie où nous lui servons de véhicule. Mais le jeu complexe du karman, de l'ego et de l'affect brouille les pistes et l'entraîne sur une multitude de chemins de traverse. Néanmoins, lorsque l'on parvient à se dégager de l'agitation et de la confusion, des signes troublants apparaissent et des questions surgissent : et si mon intérêt pour tel ou tel domaine n'avait eu pour but que de m'amener vers telle ou telle personne qui me permettrait de franchir telle ou telle étape ? Des liens se forment entre des situations et des rencontres apparemment disparates mais qui convergent, parfois sur de nombreuses années, vers un but qui finit par se révéler. Comme si chacun d'entre nous était un soleil dont la force d'attraction capture des planètes de toute sorte qui viennent graviter autour de lui, à distance plus ou moins proche et pendant plus ou moins longtemps. À la fois planète pour les autres et soleil pour nous-mêmes, nous participons au nombre infini de systèmes qui constitue l'univers que nous appelons notre vie.
Le but ultime, nous l'ignorons ou n'en avons pas une conscience claire car sauf à nous unir à notre part éternelle, il demeure caché à nos aptitudes limitées. Mais si nous entr'ouvrons les yeux, nous passons de l'état d'instrument passif à celui de participant actif et confiant au voyage et peu importe si sa destination finale nous demeure obscure.
L'une de ces routes m'amène à une nouvelle étape au moment où d'autres disent voir se dessiner le bout du chemin. Depuis le début, j'ai le sentiment d'y avoir rendez-vous avec mon destin, c'est-à-dire avec la véritable raison d'être de cette incarnation. Intuition digne de foi ou illusoire ? Quoi qu'il en soit, quelle merveilleuse sensation de se sentir guidée par une main bienveillante et de voir s'ouvrir à nouveau devant soi l'infini des possibles !