L'âme et moi
Pendant très longtemps, j'ai trouvé l'idée de la réincarnation un peu absurde car, dans ma juvénile limitation, je la concevais comme une sorte de copier-coller : les mêmes revenaient toujours, alors comment expliquer l'accroissement de la population ? À vrai dire, le sujet ne m'intéressait pas vraiment et c'est beaucoup plus tard que j'en suis venue à comprendre et à en accepter le principe.
Mais qu'est-ce qui se réincarne ?
Déjà, pas le corps : réincarnation n'est pas résurrection. Le corps mort se décompose et, sauf à être préservé par momification, la tourbe ou la glace, il n'en reste au mieux que des os. C'est un vêtement neuf enfilé à la naissance qui, une fois usé, est mis au rebut à la mort, pour paraphraser la Bhagavadgītā.
Quand on entend par exemple : "quand je me réincarnerai", "dans ma prochaine vie", cette formulation implique que moi, c'est-à-dire la somme actuelle de mes capacités cognitives, de mes émotions, de mes expériences, etc., changerait de corps mais serait au fond "la même" Jyoti avec une autre tête. Autrement dit, la réincarnation serait une transplantation de mes caractéristiques intangibles.
De la même façon, dire "c'est mon âme qui se réincarne" implique que "l'âme" m'appartient et que "je" la trimbalerait de vie en vie comme une valise.
De fait, j'ai le sentiment très net de n'être dans un corps féminin que pour la première fois et d'avoir été un soldat romain, par exemple. À mesure que je prends du recul par rapport à ma vie, je vois de plus en plus clairement des résonances et des familiarités sans lien avec mon existence tangible qui m'interpellent, des pans d'ombre qui s'éclairent de façon inattendue si j'y applique ce filtre. Et jaillissent de nulle part une attirance pour des personnes, un engouement pour des activités dont je sens qu'ils ont un lien profond avec moi, même si j'en ignore la nature et le but.
Difficile de ne pas assimiler l'âme à "je", d'autant que la possibilité de chances multiples a ses attraits romantiques (ça doit être mon côté fleur bleue !). Alors, transplantation, pourquoi pas, mais mon intuition me souffle aussi autre chose.
L'âme qui se réincarne n'appartient à rien ni à personne. Elle est à la fois totalité et fraction de la Source, du Tout, du Principe, de la Conscience-énergie dont émanent le manifesté et le non manifesté.
Cette Conscience-énergie est comme l'air : invisible, mais néanmoins présente en tous lieux, à tout instant et indispensable à notre existence même. Comme l'air également, elle ne nous est pas extérieure puisque nous baignons dedans en permanence : à ce titre, chaque incarnation est imprégnation.
Pour moi, l'âme est cette parcelle de l'Un qui entretient une relation symbiotique et dynamique avec le corps physique. Pour atteindre le but qu'elle poursuit, elle choisit d'habiter un corps aux caractéristiques appropriées. À chaque incarnation, elle accumule l'expérience dont elle a besoin pour sa propre progression, en puisant dans le vécu de son symbiote. En ce sens, ce que nous appelons "nous" devient une part d'elle-même, au même titre que d'autres expériences. Lorsque des expériences de l'âme résonnent avec notre présent, nous pensons "vies antérieures". Mais il ne s'agit pas des nôtres, puisque ce "nous" n'a que la vie du corps physique. En revanche, ce sont celles de cette entité (de ce plan de conscience ?) qui nous accompagne.
Notre relation avec elle relève de celle de maître à disciple : nous la "nourrissons" et elle nous enseigne à vivre, lorsque nous acceptons d'écouter notre intuition, qui est notre principal moyen de communication avec elle. Dans ma relation avec l'âme, je reçois et je donne.
Si l'âme est éternelle, c'est bien parce qu'au-delà de l'incarnation, elle est le Tout. Elle n'a besoin ni d'un ciel auquel monter, ni d'un enfer, ni d'un paradis.
Évidemment, ces spéculations soulèvent toujours davantage de questions que de réponses. Après tout, pourquoi l'âme s'incarnerait-elle si elle est le Tout ? Le shivaïsme trika dira : c'est le jeu, la liberté de Shiva. Il s'amuse à ce que les ballons se prennent pour les joueurs. Il a déposé dans les diamants que sont les parcelles de lui-même des inclusions qui leur font prendre les vessies pour des lanternes. Dans ce cas, l'incarnation serait comme une lessive dans la machine à laver cosmique, dont le but serait d'éliminer les inclusions, lavage après lavage, jusqu'à retrouver la pureté originelle.
J'aime bien aussi l'idée que chaque vie humaine soit une étape dans le voyage d'enseignement de l'âme, qui implique que nous sommes à son service.
Il existe bien d'autres versions de cette question, avec leurs similitudes et leurs différences. De toute façon, c'est le sujet par excellence sur lequel personne ne peut trancher avant sa mort... et peut-être même après, car il est aussi tout à fait plausible que les élucubrations humaines soient totalement à côté de la plaque.
Transplantation, imprégnation ou autre chose... Indépendamment ou en coexistence... Faut-il toujours tout expliquer et tout comprendre ? Pour moi, l'âme est un guide discret qui m'accompagne et auquel j'abandonne de plus en plus mon sort avec confiance. Et je la remercie de m'avoir choisie.