Peur(s)
Il y en a qui ont peur de Virginia Woolf, d’autres de leur ombre, les Gaulois que le ciel leur tombe sur la tête. Lorsque la peur est une arme aux visées politiques, elle est d’autant plus redoutable qu’elle vient de l’extérieur et cible directement la pire des craintes : la menace d’extinction de la vie individuelle, d’un groupe, d’un mode de vie, d’une culture, par exemple. Intimement liée à l’instinct de survie dans ce qu’il a de plus réflexe, elle renvoie aux origines de notre espèce, elle tétanise, annihile toute réflexion, brouille la capacité à prendre des décisions dégagées de l’émotion.
Sur le plan personnel, la peur devient les peurs, une hydre aux multiples têtes : des petites, des grandes, des qu’on oublie vite, des qui paralysent. Toutes ne sont pas hideuses et certaines peuvent même avoir leur charme, à en croire les amateurs d’activités extrêmes ou de films d’horreur.
Personnellement, une peur m’a accompagnée toute ma vie d’adulte et sa fréquentation m’a amenée à plusieurs constatations :
- la peur ne nous appartient pas toujours. Elle peut être transmise par nos parents et même de génération en génération. Le sentiment de ne pas comprendre d’où elle vient quand aucune raison objective ne la justifie en constitue un indicateur clair. En prendre conscience permet alors de s’en débarrasser relativement aisément ;
- la peur peut être un moteur positif très puissant : elle a stimulé mon esprit d’entreprise et focalisé mon énergie sur l’action ;
- la peur peut s’apprivoiser quand, avec le recul, toutes les angoisses et les nuits blanches qu’elle a suscitées apparaissent pour ce qu’elles ont été (et pourraient être encore) : des chimères sorties tout droit de la chambre des horreurs qu’aime à meubler l’imagination lorsqu’elle parle au futur.
La peur nous prend chaque fois que la stabilité de notre univers est menacée, que l’illusion de permanence qui nous sécurise se fendille quelle qu’en soit la raison, que nous sommes confrontés à l’inconnu.
Comme tout ce qui touche à notre expérience immédiate du monde, elle a deux visages. Si nous l’autorisons à nous dominer (et elle sait s’emparer avec autant de vigueur de notre corps que de notre esprit), nous renonçons à notre capacité de réflexion et à notre libre arbitre. Si nous basons nos comportements et nos décisions sur son évaluation des situations, nous nions notre être de conscience. Si nous lui abandonnons les rênes de nos vies ou d’aspects de nos vies, elle restreint notre liberté en nous confinant sur des chemins étroits qui brident notre évolution. Si nous acceptons de nous laisser terrifier par les propos ou les actions d’autres personnes, nous faisons leur jeu et tombons sous leur coupe.
Mais si nous nous posons des questions telles que « De quoi ai-je vraiment peur ? », « Pourquoi ai-je peur ? », « D’où vient ma peur ? », « Les raisons d’avoir peur qu’ils avancent sont-elles vraiment fondées ? », le monstre reprend forme humaine. Sous ce jour nouveau, la peur nous apparaît comme une manipulation terrible et pathétique et les marionnettes que nous avons pu être prennent conscience d’avoir le pouvoir de couper leurs fils.
Dans notre vie, ce qui nous freinait peut devenir un aiguillon qui nous pousse à avancer. En tentant d’amadouer nos peurs, nous nous offrons l’occasion de faire sauter des verrous dont nous n’avions peut-être pas toujours pleine conscience. Ce faisant, nous les transformons d’émotion asservissante en émotion libératrice. Car la peur peut aussi être un signal d’avertissement ou d’alarme, une façon pour notre inconscient d’attirer notre attention.
En ce domaine encore, le choix est entre nos mains : la peur n’a d’autre existence et place dans notre vie que celle que nous lui donnons. Elle est liée à l’obscurité et au néant : allumons la lumière. Rien ni personne ne peut nous dévorer, si ce n’est l’ogre que nous savons si bien être pour nous-mêmes.
Note : m’en souvenir la prochaine fois qu’une peur frappera à ma porte…