Deva et Veda
La racine div est l'inverse de la racine vid, que nous connaissons bien par le latin video, « je vois », et d'où vient le mot Veda. Comme si la lumière d'en haut, celles des Deva, se reflétait dans les sphères d'en bas, sous la forme de la connaissance sacrée que véhicule les Veda, transmise aux hommes pour les aider à traverser l'âge de fer. Comme si les vibrations lumineuses se déversaient sur nous et en nous, en vibrations sonores, matérialisant l'antique Sagesse. Dans le dialogue célèbre d'une Upanishad, un disciple demande au Sage Yajnavalkya : « quel est le nombres des dieux ? » Le Maître répond : « Ils sont trente-trois ». Les voici, en bref :
- Les huit Sphères d'existence, énergies qui organisent l'univers et l'animent selon les lois cosmiques ;
- Les onze Principes de vie, qui se trouvent en tout être vivant, souffles vitaux et pensée ;
- Enfin les douze Principes souverains, qui régissent les hommes et les dieux, avec le Souverain céleste, Indra, et le Père des créatures, Prajâpati.
Énumération étonnante, où nous voyons que les dieux représentent des Éléments, des Lois, des Principes, des Qualités. Ils se manifestent sur tous les plans, énergies matérielles, psycho-mentales et spirituelles, sous des formes infiniment variées, grossières ou subtiles.
De l'Un au multiple
Nous touchons là à l'essence même de la pensée védique. Ces Êtres de lumière sont en effet multiples, puisqu'ils manifestent tous les aspect et pouvoirs du Principe UN, appelé le Brahman absolu, ou le Tat, le « Cela » qui est Immensité, Ordre et Vérité. Par un phénomène de polarisation qui inscrit la dualité, l'espace et le temps, les conditionnements limitant en noms et formes le monde objectif, la Nature matérielle va dérouler ses orbes, déployer son infinie diversité. Les impulsions créatrices sont l'œuvre des dieux, qui se partagent la tâche immense, se spécialisant dans leurs fonctions et pouvoirs. Ces premiers-nés, ces Fils du ciel, sont totalement consacrés à ce processus de création, de développement et protection, de transformation et destruction. Eux qui n'évoluent pas, car ils ne sont pas sujets au changement, font tourner la roue du Dharma, s'activant sans cesse pour que l'univers et les hommes progressent vers l'accomplissement final.
Leurs exploits guerriers traversent les hymnes védiques, les textes épiques, les récits mythologiques des Purâna, car ils ont fort à faire en ce monde divisé, avide et violent. Inlassablement, les forces antagonistes, Asura et démons de toutes sortes, menacent le fragile équilibre cosmique. Dans la moindre faille, elles s'engouffrent pour semer la destruction. Là où règnent l'inconscience, l'égoïsme, les Fils des Ténèbres introduisent le mal, la souffrance, la mort. Telle est leur fonction ; ils sont une part nécessaire de la Création, et font tourner, à leur façon déviante, la roue du Dharma. N'oublions pas que le Diabolos, le diviseur, est le Prince de ce monde, ce monde qui est « branloire pérenne », comme dit Montaigne.
Les dieux buveurs de soma, leur potion magique
Pour mener à bien ces combats perpétuels, qui s'accomplissent d'ailleurs souvent sur terre, par hommes interposés et manipulés comme des marionnettes, les Deva doivent renouveler leurs forces en absorbant l'amritam, élixir d'immortalité, l'ambroisie des dieux grecs. Cette nourriture céleste ne peut être obtenue que par les sacrifices, rituels et prières que les hommes font monter vers le ciel, en riches oblations, et vibrants hymnes élogieux. C'est un schéma universel, qui rend compte des efforts de la conscience humaine, aspirant à s'élever au-dessus des contingences matérielles, pour honorer son appartenance à la Lumière. Infrangible intuition, qui pousse l'homme à s'orienter vers le Divin, comme le tournesol vers le soleil.