Veuvage
Vient un jour dans la vie où au moment de cocher sa situation maritale, on réalise que c'est « veuf » ou « veuve ». Instant bizarre où l'on se sent comme dans des limbes : marié, célibataire, on connaît. Veuf/veuve, pas un mot auquel je m'associe.
Notre partenaire a beau s'être perdu(e) en cours de route, se trouver effacé(e) de toute existence sociale en dehors d'un nom gravé dans la pierre (ou pas), il ou elle est toujours là quelque part au détour d'un objet, d'un souvenir, d'un livre, d'une musique, d'un recoin du cœur. Alors, si, on se sent toujours marié.
Célibataire... on a oublié ce que c'était, ça fait tellement longtemps. Et puis, ça un air de jeunesse, d'anticipation à trouver l'âme sœur dans lequel on ne se reconnaît pas nécessairement, surtout au début.
Veuf ou veuve, ça fait vieux. On voit des gens ridés à l'air triste habillés en noir, qui renoncent au chatoiement de la vie. Et si on est amené à prononcer le mot, il y a toujours quelqu'un pour prendre l'air constipé ou présenter des condoléances pour une personne qu'il ou elle n'a jamais connu. Parce que « veuvage » fait partie des mots, comme « cancer » qu'on évite de prononcer au cas où ils seraient contagieux.
Bon alors, on fait quoi ? On attend. Et puis, tôt ou tard on se dit que finalement, le veuvage a ses côtés positifs. Certes c'est l'expérience vécue pas facile des absolus de l'amour et de la mort, l'apprentissage de la tristesse, tout un tas de choses auxquelles on préférerait n'avoir pas à être confrontés, mais c'est aussi une nouvelle vie qui nous est donnée à savourer, peut-être pas tout de suite, mais un jour sûrement.
Vivre seul(e) n'est pas une calamité pour tout le monde. On gère son temps comme on veut, on n'a pas à se casser la tête pour savoir quoi manger parce qu'on fait comme on a envie, on n'a plus à rendre de comptes ni à faire des compromis. Bien sûr, on n'a plus personne avec qui rire de la pub penchée de Sensodyne ou partager les petits moments sympas qui jalonnent les journées. Tiens, redeviendrait-on lentement célibataire ?
La différence fondamentale entre le veuvage et une « simple » séparation, c'est qu'on ne peut pas revenir en arrière. La porte a claqué et la clé s'est évaporée. Pas possible de rester amis, pas possible de se rabibocher, pas possible de trouver un nouveau souffle, pas possible de dissiper les non-dits et les malentendus.
L'épreuve du veuvage donne tout son sens à l'idée que les fins sont aussi des commencements. On quitte une vie pour pénétrer dans une autre où les repères ont changé, où rien ne sera plus comme avant même si avant en sera l'arrière-plan. Du coup, finies les tentatives de contrôle volontariste sur les événements, juste des pichenettes dans le flux cosmique pour lui rappeler que je suis là, quand même. Sentiment d'anticipation sans rien attendre de spécial. Curiosité confiante quant à ce que l'univers va mettre sur mon chemin, dans sa grande bienveillance. Coups de blues aussi.
Alors je coche la case, qui n'est finalement qu'une description sociale de plus et ne dit rien de la richesse au goût amer de ce mot : veuvage.