Théorie du reflet

Publié le par Jyoti

La théorie du reflet constitue l’un des principes fondamentaux du Shivaïsme du Cachemire. Le texte qui suit est la traduction/adaptation des commentaires de Swami Lakshmanjoo sur l’enseignement d’Abhinavagupta exposé dans le troisième chapitre du Tantraloka, qui présente la voie d’union avec Siva la plus élevée. (Source : Universal Shaiva Fellowship)

Je conseille vivement aux personnes intéressées par ce sujet de lire "La lumière sur les tantras, chapitres 1 à 5 du Tantraloka" (traduction et commentaires : Lilian Silburn et André Padoux - Publications de l'Institut de civilisation indienne du Collège de France). 


Tout se reflète – l’eau, la terre, etc. – comme dans un miroir, pourvu que celui-ci soit parfaitement propre, sans un grain de poussière, sans un défaut, d’une transparence absolue. Tout s'y voit. Mais si ce miroir comporte la moindre impureté, les objets qui s’y reflètent ne sont pas clairement visibles et apparaissent séparés.

Par exemple, cette pièce toute entière se reflète dans un miroir de 20 cm x 25 cm. Pour y apparaître, elle doit s’y refléter d’un seul tenant. Elle ne peut pas y pénétrer, mais elle s’y trouve malgré tout. Ce miroir de 20 cm x 25 cm contient le reflet d’une pièce de 6 m x 3 m.Tous les éléments de cette pièce se reflètent séparément dans ce petit miroir.

De la même manière, tous les modes d’action (son, toucher, forme, goût et odeur) se reflètent dans le Seigneur de conscience, dans le miroir qu’est le Seigneur de conscience.

Le Seigneur de conscience est le miroir, un miroir parfaitement pur, où tout se voit, où tout se reflète. Mais il existe une différence entre le miroir ordinaire et le miroir universel.

Le miroir ordinaire ne laisse voir que des formes qu’il est impossible de toucher : on ne peut pas toucher la pièce. On ne peut pas utiliser la tasse reflétée dans le miroir. Si vous voulez boire dans ce miroir, vous ne pouvez pas emporter la tasse jusqu’à une cascade et en goûter l’eau. Il n’y a que des formes. Vous ne pouvez que voir. Pas toucher, pas sentir, pas goûter, pas entendre.

En revanche, vous pouvez utiliser le monde objectif reflété dans le miroir du Seigneur de conscience parce que l’univers tout entier s’y reflète. Telle est la différence : dans l’un n’existe que la forme, dans l’autre existent les cinq modes d’action, à savoir son, toucher, forme, goût et odeur.

La tradition de nos maîtres qualifie la pureté de ce miroir de svasminnabhedā (indifférenciation en lui-même). Le Seigneur de conscience a pris l’intégralité du monde objectif dans Sa propre nature. Autrement dit, le monde objectif tout entier existe dans ce miroir bien qu’il ne fasse qu’un avec lui (parce que le poids du miroir ne change pas lorsqu’il reflète une montagne bien que celle-ci soit extrêmement massive).  C’est cela la pureté (nirmalatā) du miroir.

Il n’y a en ce miroir ni un autre agent, ni un corps étranger. Tout y est reflété mais pas dans sa nature parce que le poids du miroir demeure inchangé. Le Seigneur prend toutes ces formes dans Sa propre nature puis nous les donne à voir séparément et non comme un tout. Chaque objet y est vu distinct des autres et pourtant le miroir n’est pas détruit. Bien que tout l’univers s’y reflète, il demeure intact. Sa forme ne change pas. C’est cela la pureté du miroir. Nos maîtres la décrivent ainsi.

On définit donc cet univers comme un « reflet », alors qu’il n’est pas réfléchi. Et en l'absence de définition de l’objet reflété, on peut admettre que seul existe le reflet. Mais se pose la question de sa cause. D’où vient ce reflet ? De qui ou de quoi cet univers est-il le reflet ? Impossible à dire. La seule question que l’on peut poser est « comment » : comment ce reflet est-il apparu dans le miroir de la conscience ? Cette question renvoie à sa cause, au champ des « causes ».

Il en existe deux types : instrumental et matériel. La cause instrumentale est le potier, son tour, son bâton. La cause matérielle est l’argile avec laquelle il façonne un pot.

La question ci-dessus renvoie elle aussi à la cause instrumentale et non à la cause matérielle. Parce que la cause du reflet de l’univers dans le miroir de la conscience ne peut être qu'instrumentale et non matérielle. Parce que le visage n’est pas la cause matérielle mais instrumentale de sa perception dans un miroir extérieur. S’il en était la cause matérielle, il cesserait d’exister au moment où il s’y refléterait, tout comme l’argile cède la place au pot sous les doigts du potier.

Le potier existe, le tour existe, le bâton existe, tout existe sauf la cause matérielle (la terre). Ainsi le visage extérieur (objet reflété) apparaît dans le miroir extérieur (reflet). Le reflet n’affecte pas l’objet reflété, qui ne subit aucune modification. On peut donc poser la question : « quelle est la cause instrumentale de ce reflet dans le miroir de la conscience ? » mais pas « quelle en est la cause matérielle ? ».

[…] Le substitut à la cause du reflet de l’univers est le libre arbitre du Seigneur de conscience. Ce reflet apparut dans le miroir de la conscience dans lequel aucun objet ne se reflète est le fruit de son libre arbitre. Parce que tous les objets reflétés et leurs reflets sont exclus du reflet dans le miroir de la conscience. Tout se trouve dans le miroir de la conscience. Ce pot se trouve dans le miroir de la conscience et son reflet également. Ils y résident tous les deux.

En choisissant d’insérer le reflet Il ne fait plus qu’un avec lui, le reflété fusionne avec le reflet. […] Lorsque je confie mon image à ce miroir, j’en vois le reflet et ce reflet devient comme mon visage. Mais dans le miroir de la conscience, le reflet apparaît du fait de Son libre arbitre et non à cause d’un objet reflété. C’est le pouvoir de manifestation de son propre libre arbitre (svātantrya śakti) qui donne naissance au reflet.

[…] Ainsi, la totalité de cet univers se reflète dans quoi, dans qui ? En Bhairavī, en Bhairavanātha, qui est Bhairava, qui est un « vide de conscience ». Et ce reflet est bien établi dans le miroir transparent de la conscience, mais pas du fait d’un autre agent. L’intervention d’un autre agent (l'objet reflété) n’est pas nécessaire, contrairement au cas des reflets extérieurs.

Tout comme dans miroir extérieur l’univers est perçu sous la forme d’un reflet, mais dans le miroir de la conscience, le reflet ne provient pas d’un objet reflété mais de la grâce de Son libre arbitre.

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