J'entends
J'entends parler de grèves, de manifestations, de mécontentement, de ronds-points à nouveau bouchés. J'entends annoncer la fin du monde. J'entends des discours haineux et d'autres qui se veulent vertueux. Mais derrière ce bruit de fond lancinant comme la note d'une tampura, je n'entends qu'un seul et même son : celui de la peur. Peur de l'autre, peur du changement, peur de l'inconnu. Peur de la perte des acquis de toute nature. Peur de la perte ultime : la mort. La peur est le moteur de toutes les divisions, individuelles et collectives. La peur ne peut être le sauveur ni des individus, ni des sociétés, ni de la planète. Dissiper ce monstre multiforme en chacun d'entre nous est le premier pas à accomplir pour détruire les silos que sont devenues nos vies. En bientôt sept décennies, j'ai vu défiler, en acteur et en témoin, bien des convictions solides comme le roc qui se sont écroulées avec bon nombre d'illusions. Si les leçons n'ont visiblement pas été comprises, ce n'est pas la faute de telle ou telle faction, mais bien de l'incapacité générale à dépasser un mode quasiment instinctif d'appréhension du monde. Les sociétés ne deviendront meilleures (c'est-à-dire respectueuses des différences et non uniformisantes dans un sens ou un autre) que lorsque les individus qui les composent se seront affranchis de la peur et lui auront substitué la confiance et qu'ils cesseront de faire porter les responsabilités à d'autres qu'eux-mêmes.