Manikaran
Au programme du jour, nous passons de la vallée de Kullu à celle de la Parvati : 63 km qui demanderont 2h30 de route. Ici, les distances se mesurent en temps autant en raison de la topographie que des travaux qui transforment fréquemment des portions de routes goudronnées en pistes, que ce soit en raison des conséquences d’intempéries ou de travaux d’élargissement.
La route qui longe la vallée encaissée de ce compromis impétueux entre un torrent et une rivière joue les montagnes russes, permettant une fois de plus à nos chauffeurs de faire la démonstration de leur virtuosité. Comme à l’accoutumée, partout des villages ou des maisons et des gens qui vaquent à leurs occupations ou discutent devant les boutiques (surtout des hommes à vrai dire). Les rosiers blancs et rouges et les lauriers roses fleurs ajoutent leurs taches de couleur à la verdure omniprésente. Ici et là des petits drapeaux signalent la présence de communautés tibétaines, assez nombreuses dans la région.
Notre destination, Manikaran, étire ses ruelles étroites bordées d’une multitude de boutiques à touristes le long de la berge côté flanc de montagne. À noter que dans cette région, les touristes sont très majoritairement indiens, ce qui fait de nous une exception plutôt que la règle. Le but de la visite est double : les bains de sources chaudes sulfureuses et le temple de Siva (il y a aussi un temple à Rama et un temple sikh, mais nous nous contenterons de les regarder de l’extérieur).
Les bains occupent des bâtiments séparés pour les hommes et les femmes. Nous entrons dans un bâtiment rectangulaire abritant une piscine d’eau effectivement chaude. N’écoutant que notre curiosité quelques unes d’entre nous s’immergent en se demandant si l’heure est venue de nous réincarner en homards. Mais non, une fois le corps habitué à la chaleur de l’eau, l’expérience s’avère fort agréable. Deux Indiennes habituées des lieux se lavent le corps et leurs magnifiques cheveux noirs pendant que nous trempons. A la sortie, l’avis est unanime : nous nous sentons allégées et la peau douce, cerise sur le gâteau sans sentir l’oeuf pourri !
En fait, ce gros bourg est bâti sur ces sources, que nous retrouvons au temple de Siva et dans le couloir souterrain qui conduit à d’autres bains et au temple sikh. Ici les temples hindouistes sont familiers et familiaux. Loin de la grandeur parfois intimidante de nos cathédrales, ils renvoient à la familiarité avec le divin des gens qui les fréquentent : on vient rendre visite au dieu en toute simplicité. Je fais cuire un sachet de riz dans les eaux chaudes du bassin situé devant le temple : une jeune fille m’a expliqué comment procéder. Une dame nous indique que nous pouvons murmurer un vœu dans l’oreille du boeuf Nandin, le véhicule de Siva, ce que je fais. Le brahmane installé à l’entrée du saint des saints, où trônent les statues d’un Siva et d’une Parvati bienveillants, m’appose la marque ocrée entre les sourcils, m’indique de porter devant mes lèvres puis de jeter par dessus la tête un liquide, avant de me donner les grains de riz soufflé à manger, tout cela avec un sourire amical. Cette participation à la “vraie vie” locale m’émeut et donne à mes convictions philosophiques la dimension humaine qui leur manquait. Sans doute un sujet sur lequel je reviendrai d’ailleurs.
En rentrant nous nous arrêtons à Kasol, un village apparemment prisé des entants (ou des petits-enfants) de hippies. Certains semblent un peu déguisés au milieu de la population locale et il y a même une école Montessori à la sortie du village. Mais après tout l’Inde n’est pas avare de contrastes, c’est le moins que l’on puisse dire, et apparaît capable d’absorber tout et son contraire sans remettre en cause sa nature profonde.