Epilogue

Publié le par Jyoti

Je suis partie en me demandant si l'Inde et moi nous accepterions mutuellement et je reviens en sachant que je vais y repartir. Moi qui n'ai habituellement pas de problème avec les mots, je ne saurais expliquer pourquoi j'ai le sentiment d'avoir laissé un peu de moi là-bas. Je m'y suis sentie à la fois étrangère et à ma place. Rien d'étrange à cela ceci dit, car l'Inde n'a aucun problème avec la confusion des genres et maîtrise l'art du paradoxe. Je n'en ai aperçu qu'une infime partie, un monde rural protégé par ses montagnes, et j'ai envie d'aller plus en profondeur. Donc si les petits cochons ne me mangent pas, la prochaine fois, je m'armerai d'un peu de hindi et je n'irai pas en groupe. A vrai dire, j'ai déjà tout un périple dans le nord dans un coin de ma tête et une envie de fin d'année au Kerala...

Je me suis rendue compte en fin de séjour que le temps s'était écoulé autrement. Ici, nous répétons souvent que le temps passe vite ou même de plus en plus vite. Rétrospectivement, pendant ces près de trois semaines, il s'est écoulé au rythme juste, en parfaite adéquation avec ce qui occupait nos journées. 

Leçon que j'ai rapidement comprise : arrêter de comparer à ce que nous connaissons (non, les Himalayas, avec leurs vergers et leurs singes à 2000 m d'altitude ou plus ne ressemblent pas aux Alpes ou alors il s'est passé un truc dont personne ne m'a prévenue). Il faut lâcher prise et prendre les choses comme elles sont, ne pas tenter d'interpréter ce que nous voyons (même si c'est tentant) parce qu'il y a de fortes chances que nous ayons tort et est-ce vraiment important de toute façon ? Cesser d'appliquer nos critères policés, ne pas prendre pour du chaos ce qui est un ordre différent. Accepter de se laisser porter par le flot d'une vie omniprésente, industrieuse et déterminée. Se garder des jugements de valeur. 

Mon intérêt pour le sanskrit et les textes indiens, épopées ou points de vue sur le monde, m'a permis de me sentir en phase avec l'aspect dévotionnel, mais aussi de réaliser mes erreurs : j'avais dans le passé comparé une pujā à laquelle j'avais assisté sur Internet à l'ambiance d'une église et trouvé que cela manquait d'intensité : le brahmane récitait les mantra à toute vitesse, les gens allaient et venaient. Sur place, j'ai compris : le divin est partout, tissé dans chaque instant de la vie, dans les replis du paysage, présent sur les camions et sur les autocollants de pare-brise célébrant un dieu, une déesse ou un guru. Les temples que j'ai visités, notamment celui de Śiva à Manikaran, sont des lieux où les gens se rendent en famille, où l'on sent une proximité sans falbalas avec le dieu dont on demande la protection ou quelque bienfait. Et rien n'empêche d'avoir ce rapport intime avec lui et de vibrer à la métaphysique : application pratique de la coexistence simultanée des plans de conscience !

Il y aurait mille autres choses à dire, mais l'envie me manque car en vérité ni les mots, ni les photos ne peuvent véritablement rendre compte de l'expérience : l'Inde ne se décrit pas, elle se vit. Les sensations /émotions que suscitent ses paysages, ses habitants, ses couleurs, ses odeurs, ses sons, ses traditions, sa culture, ses modes de vie se mêlent pour exhaler le fumet d'un savoureux mets différent et familier à la fois dont les innombrables saveurs rendent obsolète l'idée même de satiété et excitent l'envie de découverte.

 

 

Publié dans Billets des Himalayas

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