Premières fois
Les premières fois contribuent à tisser la matière de l’expérience. Première rentrée des classes, premiers amis, premières rencontres, premières amours, premier job, premier appart…. Elles sont si nombreuses que nous finissons par en oublier la saveur et l'excitation, par oublier aussi que nous avons pu les redouter. Seules les plus marquantes d'entre elles se gravent dans notre mémoire : la rencontre de l'âme sœur, la naissance d'un enfant, par exemple.
Sans surprise, plus le temps passe, moins elles sont fréquentes. Nouvelles rencontres, nouvel enfant, etc. : les deuxièmes fois, et a fortiori les suivantes, deviennent les variations d'un air connu. À partir d'un certain moment, on se dit, sans même y penser vraiment, qu'on les a toutes vécues.
Et puis un jour, on se retrouve à devoir faire seul ce que l'on faisait à deux. On a beau connaître le mode d'emploi, c’est un peu comme s'il fallait apprendre à faire d’une seule main ce que l”on faisait à deux mains. Même pour une nature indépendante et autonome comme la mienne, la constatation est pour le moins déstabilisante.
Le voyage que je viens d'effectuer est l'une de ces premières fois. Je le redoutais et je me félicite aujourd'hui de l'avoir accompli. Grâce à lui j'ai compris que chaque première fois que je vais vivre désormais fermera une porte sur le passé. L'absence de réponses aux questions que je n'ai pas posées, les « si seulement... » vont cesser de me hanter : le passé ne peut pas être réécrit et les souvenirs que nous en avons sont une impression fantomatique et parcellaire de ce qui fut. Mais dans le même temps, chaque nouvelle première fois ouvrira un espace où pourra s'exercer ma totale liberté de choix, sans possibilité de me cacher frileusement derrière l'autre.
Le prix à payer est si lourd qu'il ne doit pas être en vain. Aujourd'hui est le premier jour du reste de ma vie et ma gratitude pour ce cadeau est infinie.