La Conscience et moi
Selon la conception métaphysique du monde avec laquelle je me sens en résonance, seule la Conscience possède une réelle existence : immanente, transcendante, omniprésente, d'elle tout procède, en elle tout retourne, en elle tout baigne. Source de tout ce qui existe et n'existe pas, rien ne peut être en dehors d'elle. Elle ne nous est pas extérieure, nous n'avons pas à chercher à l'atteindre, car elle est toujours là. Nous n'avons qu'à la reconnaître, en nous et autour de nous.
Je trouve néanmoins les termes Conscience (et Soi) sources de confusion. Certes comment nommer l'innommable et concevoir l'inconcevable si ce n'est en lui trouvant des équivalences en rapport avec nos capacités d'appréhension des choses ? Mais il devient facile alors de céder à la facilité et de rester sur un plan de compréhension où ces concepts ont un sens familier et ce faisant nous épargner le vertige d'essayer de les aborder sous un angle différent qui nous mette sur la voie d'un plan de compréhension supérieur.
C'est pourquoi je préfère le terme Brahman, mot neutre, et l'idée qu'il m'évoque de vide au sens de matrice en tant que potentiel de conception. Énergie vibratoire pure, il ne devient Conscience que lorsque s'éveille en lui le désir-volonté d'expansion qui expulse, fractionne et ralentit cette vibration originelle jusqu'à créer l'univers qui est le nôtre. Mais contrairement à l'enfant qui quitte le ventre de sa mère, nous ne quittons jamais son giron, car sans lui l'idée même, si abstraite soit-elle, du cosmos et de ses habitants n'existerait pas.
Pour moi, le concept de Brahman est une grande source d'apaisement. Être libérée du temps, de l'espace, de la forme, des contingences... Quelle liberté et quel bonheur à m'imaginer goutte de cet océan symbolique, ayant retrouvé ma place en son sein.
Mais pour l'heure, je suis ici, sur le plancher des vaches. J'aspire, je formule, mais je reste dans le domaine de l'intellect. Parfois, j'ai l'impression fugitive que le ressenti intime et non verbal de ma véritable nature est à portée de main. Mais il m'élude à chaque fois. Comment me connecter à cette « part divine » ? Le Śivaïsme du Cachemire est clair : il n'y a rien à faire, ni prescriptions à suivre, ni règles à respecter. La voie la plus rapide, mais aussi la plus rare, est celle de la Grâce. Une autre, que je m'efforce de suivre, avec beaucoup de mal, est celle de la réceptivité et de l'ouverture au Suprême qui sous-tend toutes choses. En toute honnêteté, il faut que je me le rappelle en permanence, car j'ai vite fait d'oublier sous la pression du quotidien.
La conscience mentale de ce tissu divin, de ce « gène de Lumière » qui est notre essence immortelle ne parvient pourtant pas à apaiser la tristesse de l'absence. Et cette constatation m'a fait réaliser le véritable sens du détachement. Le détachement véritable, celui qui est porteur de joie pour les autres et soi-même, qui efface, entre autre, le chagrin du deuil, ne peut être atteint que par ceux qui ont ressenti, expérimenté, le véritable yoga : l'union avec le Suprême. Pour les autres, comme moi, le détachement se limite à un recul par rapport à ce que nous vivons en positif comme en négatif, à une mise à distance. Ce n'est déjà pas si mal, mais je mesure tout le véritable chemin qui reste à parcourir. Car lorsque le temps aura fait son œuvre et que les émotions auront perdu de leur acuité, loin de remiser mon bâton de pèlerin, je poursuivrai à pas redoublés mon voyage intérieur de retrouvailles avec l'Unité, qui m'aura partiemment attendue tout ce temps dans la caverne du Cœur.