Où est le diable ?
D'aucuns affirment que le diable est dans les détails. Moi, je dis qu'il réside dans l'imprécision.
Ça commence quand vous demandez votre chemin à quelqu'un dans la rue. À tous les coups il manquera une information fondamentale qui vous conduira à errer de ci de là un temps certain avant d'atteindre votre destination.
L'imprécision du discours se nourrit du non-dit de la pensée. Notre parole est la queue de la comète de notre intention de communication. Elle saute les étapes intermédiaires et se présente comme la conclusion d'une réflexion... dont notre interlocuteur ignore tout.
Exemples concrets : nous sommes trois à discuter de l'emplacement d'un éclairage du plan de travail de ma future cuisine. Nous sommes d'accord sur l'endroit où il faut le placer. Nous croyons avoir atteint un consensus lorsque nous nous apercevons que nous n'envisageons pas du tout le même type de luminaire.
Ou bien encore : il faut faire intervenir un dispositif pour lever des plaques de placo jusqu'au 4e étage. Ce point est parfaitement acquis sauf que mon interlocuteur ne me dit pas précisément où il faudra le placer. Moi j'ai mon idée sur le sujet, que je ne pense pas à confronter à la sienne. Or mon idée est fausse et je vais mobiliser inutilement le temps de deux autres personnes.
L'absurde est que si je reformule plusieurs fois un point pour, justement, éviter les malentendus et le gaspillage d'énergie qui va avec, on me prend pour une débile et on me parle d'un ton à l'agacement mal contrôlé. Bien sûr, puisque mon interlocuteur sait de quoi il parle, lui. Si je le fais répéter, ce n'est pas pour m'assurer que nous sommes sur la même longueur d'onde, c'est parce que j'ai le neurone mou. Et je fais la même chose, d'ailleurs.
Les exemples que je cite sont sans graves conséquences. Mais rappelez-vous les dégâts qu'ont pu provoquer dans votre vie ou celle de votre entourage des propos qui, déconnectés du raisonnement mental dont ils sont l'aboutissement, sont mal interprétés par leur destinataire.
Sommes-nous si pressés que nous ne prenons pas le temps de la précision ? Ou si égocentrés que nous considérons les autres comme des extensions nous-mêmes ?
Un discours précis et circonstancié est synonyme de gain d'énergie et de qualité de la communication. À quoi bon se parler, si ce n'est pas pour se comprendre ?
Je ne peux pas m'empêcher de rapprocher ce phénomène de la mauvaise foi qui sous-tend souvent les polémiques suscitées par les « petites phrases ». Finalement, je me trompe peut-être d'ennemi : le diable se trouve peut-être non tant dans l'imprécision du discours que dans ce qu'on veut y entendre, sans se donner la peine de l'écouter vraiment.
Notre cerveau aurait-il donc une fâcheuse tendance à l'ellipse mentale et auditive ? Si notre communication est tronquée et polluée par des a priori, comment peut-elle remplir efficacement son rôle ? Si nous prenions le temps d'exprimer toutes les nuances de notre pensée et d'écouter attentivement ce que l'on nous dit, peut-être introduirions-nous un peu plus d'harmonie dans nos relations et cesserions-nous de gaspiller ce temps que nous jugeons pourtant si précieux...
À bon entendeur, salut !