Ne rien attendre
J’ai lu récemment un article* rendant compte des observations d’une nouvelle branche de la psychologie baptisée psychologie prospective qui, pour résumer, avance que le pouvoir de projection est ce qui nous confère la sagesse à nos autres, Homo sapiens. En gros, ce serait un travail de recombinaison permanent de la mémoire qui nous permettrait d’inventer et de façonner l’avenir et de le construire collectivement, le passé et le présent devenant ainsi une sorte de « substrat nourricier » de notre futur individuel et collectif.
Loin de moi l’idée de réfuter ou de conforter cette thèse, ce dont je serais d’ailleurs bien incapable. Lorsque l’auteur de l’article prend les exemples de la réservation d’une table dans un restaurant ou de l’achalandage d’un supermarché, elle me semble d’ailleurs raisonnable. En revanche, elle s’accommode mal de mon opinion, exprimée dans divers billets de ce blog et tirée notamment de mon expérience, que la projection permanente dans l’avenir constitue une source d’illusion, souvent douloureuse. Comme de nombreux aspects du fonctionnement humain, la projection possède une utilité fonctionnelle évidente, dont témoigne l’antique invention du grenier, qui anticipe la disette en période d’abondance. Sans elle également, pas de projets. Et sans projets, la chute dans la stagnation et la répétition stérile nous guette.
Mais sur le plan individuel, se projeter dans l’avenir, c’est aussi imaginer une histoire où des événements inventés ont des conséquences improbables qui peuvent paraître d’autant plus inéluctables qu’elles sont négatives. Chaque film ainsi déroulé correspond très souvent à une crainte ou à une attente anxiogène et donc porteuse de souffrance.
Comment parvenir à se projeter, puisqu'il nous est difficile de ne pas le faire, en s’épargnant cette souffrance ? La réponse tient en trois mots : ne rien attendre. Cette posture mentale a deux faces (surprise, surprise !) : négative et positive.
Sa face négative est la résignation et le défaitisme. Je n’attends plus rien parce que j’ai le sentiment d’être déçu(e) ou trahi(e) ou abandonné(e). Tout espoir d’amélioration de ma situation ou de mes perspectives d’avenir m’a quitté.
Sa face positive est la confiance totale en la force de vie qui me porte. Je n’attends rien parce que je sais que son flux me conduit là où je dois aller. Je peux m’abandonner à sa force, cesser de redouter ou de vouloir contrôler. J’accepte et je reconnais l’existence d’une énergie qui me transcende et ce faisant, je m’apaise. Ce type d’attitude peut être confondu avec du fatalisme, alors qu’il s’agit de foi.
Génétique, psychologie prospective, loi du karman, influences transgénérationnelles, et j’en passe, livrent autant de points de vue sur la forme de notre avenir qui tous ont leur intérêt, se justifient dans les domaines qui leur sont propres et peuvent même se combiner.
Lorsque nous formons un projet, nous lançons une balle sans maîtriser ou connaître toutes les variables qui en détermineront le parcours et sommes parfois surpris de la destination qu’elle finit par atteindre. Accepter ce degré d’incertitude avec confiance, c’est à la fois poursuivre ses buts avec sérénité et se réserver l’émerveillement d’un détour ou d’un rebondissement inattendus.
La partie cachée de notre iceberg connaît notre chemin et nous guide : ne rien attendre, c'est la laisser jouer son rôle en toute confiance. Vous aurez remarqué comme moi que les choses, comme les rencontres, se produisent toujours au moment ou sous la forme où on ne les attendait pas ! Il n'y a là ni hasard, ni coïncidence, ni chance. Simplement Nous, architectes de notre destin.
* En anglais, ici.