Illusion
Je marchais sur une route de campagne qui avait atteint un plateau. Depuis cette vue parfaitement dégagée, je voyais jusqu'à l'horizon un paysage de collines verdoyantes où se déroulaient champs et prairies, semé de quelques habitations ici et là et bordé d'un côté par la lisière de vastes bois. Rien d'autre que la brise, le chant d'oiseaux et le ciel d'un bleu immense où voguaient quelques nuages en croisière. Je m'arrêtai pour m'ouvrir à cette vie intense, laisser le vent me traverser, la lumière m'imbiber.
Je levai les yeux vers le ciel au-dessus de ma tête pour lui exprimer ma gratitude, quand je réalisai l'absurdité de cette idée. Le ciel n'est pas au-dessus, il est autour : ce que nous appelons le ciel est l'atmosphère, cette enveloppe gazeuse piégée par la gravité, qui nous protège de la violence des rayonnements cosmiques et solaires. En fait, le ciel, c'est l'air sans lequel nous ne pourrions pas vivre. Il n'est même pas autour, il est partout, omniprésent, omnipénétrant, invisible. L'être aveugle voit le ciel séparé de lui et craint qu'il lui tombe sur la tête, l'être borgne reconnaît en l'air la manifestation du souffle vital qui anime les êtres mobiles et immobiles, l'être voyant le perçoit comme l'expression subtile de la Conscience suprême, cette vibration invisible dans laquelle baigne le cosmos tout entier.
Et le ciel n'est même pas bleu : sans la diffusion de la lumière du soleil par l'atmosphère, il serait noir et nous verrions les étoiles en permanence.
Pourtant, que le ciel soit bleu et au-dessus de nos têtes fait partie de tout ce que nous prenons pour argent comptant. Quelque 100 km à peine nous séparent physiquement de l'immensité cosmique tout comme le voile de la connaissance imparfaite nous sépare de la Réalité transcendante. Et pourtant, tout est là. Il suffit simplement d'examiner de temps en temps ce qui nous paraît évident et de nous autoriser de l'amplitude et de la hauteur de vue. Parce que si nous sommes encore capables aujourd'hui de nous laisser abuser par une illusion d'un tel ordre de grandeur, nous ne sommes pas prêts de nous défaire de la multitude de visions tronquées et déformées sur lesquelles nous fondons les certitudes, les opinions et les émotions qui tissent nos vies.
Vous allez peut-être me dire : bien sûr qu'on le sait, et alors ? Quelle incidence sur notre quotidien ? Nous avons autre chose à gérer et des sujets de préoccupation plus pressants. À cela je vous répondrai que garder à l'esprit, en arrière plan, cette idée, ce sentiment, cette intuition de la toile de fond sur laquelle se jouent nos vies individuelles et collectives, c'est ajouter à nos expériences et à notre vision du monde une quatrième dimension, une perspective apte à remettre les choses à leur juste place.
C'est une voie de prise de conscience qui nous invite à déceler et à détricoter progressivement illusion après illusion, dans tous les domaines, et ainsi à rendre le voile de moins en moins opaque. Plus il devient transparent, plus la confusion se dissipe et plus l'apaisement s'installe. L'apaisement profond, quelles que soient nos tribulations, qu'engendre le sentiment d'appartenir à ce Tout, de vibrer au diapason de cette matrice universelle.
Dans le même ordre d'idée : Levons les yeux au ciel.