Môvéze umeure
Aujourd'hui, je vais faire ma râleuse. Pas parce qu'il pleut et que ça me rend morose, mais parce que les gouttes finissent par faire déborder le vase.
J'ai sans doute tort vu la suite de cette article, mais le démon masochiste qui doit sommeiller en moi me pousse à consulter tous les jours le portail d'infos de mon smart phone. Si vous êtes insensible ou imperméable à la technologie, laissez-moi vous éclairer : il s'agit d'une application qui publie en continu des articles issus de toutes les sortes de presse sur tous les sujets. Et j'en ai assez : sujets et verbes discordants, participes passés à l'infinitif et vice versa, confusion entre démonstratifs et possessifs, « à » pour « a » et inversement, sans parler des « simples » fautes d'orthographe... Je hurle à la mort : ça suffit !
Et, oui, la langue française a une grammaire complexe, mais c'est sa complexité qui lui donne toute sa finesse. Qui d'entre nous se souvient que le passé simple exprime une action effectuée et terminée dans le passé, l'imparfait une action qui a déjà eu lieu mais qui peut se reproduire et le passé composé, la conséquence d'une action terminée dans le passé ? Pas grand monde, encore moins depuis que le passé simple a été dévoré par le passé composé.
Et, non, ce n'est pas une raison pour reproduire au hasard les sons de l'oral dans l'écrit (même si la prononciation ne distingue plus entre « mangeai » et « mangeais » et que « événement » est devenu « évènement », entre autres), et brouiller le message. « Ces chats » et « ses chats », ça ne veut pas dire la même chose, même si l'oreille n'y voit pas de différence.
Au-delà de l'agacement indigné que cela suscite chez une amoureuse des langues comme moi, un paradoxe me frappe : cette négligence j'men foutiste intervient justement à une époque où l'écrit est partout. Nous lisons et nous écrivons tout le temps. Sans écrit, pas d'utilisation d'Internet ni de nos téléphones, dont le clavier numérique n'est plus qu'un accessoire parmi d'autres, pas de SMS ni d'e-mails.
Alors je m'interroge : pourquoi tant de haine ? L'une des raisons est probablement à trouver dans les réformes de l'enseignement successives qui n'ont eu de cesse de simplifier les apprentissages exigeants (à cet égard, je honnis tout particulièrement la dictée préparée). Si tout devient facile et « ludique », quel mérite, quelle fierté, et donc quelle motivation, à réussir ? Un autre facteur peut être aussi la dévalorisation du savoir... au moment même où l'on nous dit que nous vivons dans des sociétés de la connaissance ! Dans les ténèbres de l'histoire moderne, la réussite scolaire était l'un des moteurs du fameux ascenseur social. Aujourd'hui, il semble que la perception ait changé, ce qui n'empêche pas les universités de fabriquer à la pelle des super diplômés auxquels leurs employeurs, quand ils en trouvent, sont amenés à donner des cours d'orthographe...
Au-delà d'un système éducatif qui devrait sans doute se remettre sérieusement en question, le mépris décomplexé de la grammaire n'est peut-être qu'une des manifestations d'une tendance générale de notre société à tourner le dos à la structure et à l'effort, perçus comme des contraintes. Mais la contrainte est le cadre même dans lequel nous évoluons et la structure est présente dans notre corps même : c'est notre squelette. Lorsque nous abolissons des structures dans la vie individuelle et collective, c'est pour en reconstruire d'autres. Nous sommes des êtres contraints et structurés, il va falloir nous habituer un jour à l'idée !
La tendance générale de nos sociétés à l'approximation et au superficiel pourrait aussi entrer en ligne de compte. Derrière les belles façades en ligne, peu importe qu'il y ait quelque chose ou non. L'important est d'être publié, « liké » et suivi. Et puis, tout le monde aura oublié dans les quelques secondes où des milliers d'autres informations viendront pousser les précédentes dans les abîmes.
Et la grammaire là-dedans ? Elle est le squelette de la langue. Sans elle, le langage s'effiloche, les sens se perdent dans le marécage de l'imprécision, le flou et son cortège de malentendus s'installent. Elle rend compte aussi de l'histoire des millions de génération qui l'ont façonnée. La langue est un outil de communication. Un outil en mauvais état ou mal utilisé n'accomplit pas son office. Une communication émoussée ouvre grand la porte aux conflits et à l'incompréhension.
Les écrivaillons qui font fi des règles de grammaire et d'orthographe (et qui, en passant, semblent ignorer l'usage des correcteurs orthographiques) savent que rien ne viendra les sanctionner. Ils continueront à publier des articles bourrés de fautes dans l'indifférence générale puisqu'il semble que la médiocrité soit contagieuse.
Les langues évoluent et les règles peuvent changer si cela va dans le sens de l'éclaircissement des messages et non de leur appauvrissement et de la paresse, comme cela semble le cas depuis quelques années.
Heureusement, pour quelques-uns qui ont oublié le respect de leurs lecteurs, il y a tous les autres qui font sérieusement leur travail et ne tombent pas dans les pièges d'un virtuel mal compris. J'espère seulement qu'ils ne sont pas voués à l'extinction !