La tentation de l'inertie
L'inertie est mon ennemie personnelle : je la connais par cœur. Tapie dans l'ombre, elle attend son heure. Le terreau dans lequel elle germe est la routine : les mêmes gestes à la même heure, les mêmes denrées dans le placard et le frigo, le même chemin pour se rendre ici ou là. Le « train-train », sauf que la locomotive avance au radar sans même plus voir les rails. La vie devient une ligne droite où les mêmes événements se répètent inlassablement, heureusement quand même avec quelques variantes, mais quand on y regarde de près, des variantes pas si variées que ça. C'est le moment que choisit l'inertie pour s'installer.
L'inertie a un allié de taille : le confort. Elle évite de se poser des questions. On sait où on va : au même endroit qu'hier. Il sera toujours temps d'aller ailleurs. D'ailleurs, pour aller quelque part, il faut bouger et pourquoi ? On est si bien ici. Tout est familier, tout est bien ordonné, pas de surprises majeures. On se transforme en dormeur éveillé. On peut continuer comme ça éternellement.
L'inertie nous alourdit le cœur et le corps. C'est une glaise au pouvoir hypnotique qui nous empêche d'avancer. C'est une boue à la tiédeur confortable dans laquelle on s'enfonce sans s'en apercevoir, en douceur. C'est une terre stérile sur laquelle rien de nouveau ne peut pousser. C'est le marécage dans lequel viennent s'engluer les envies et les enthousiasmes.
L'inertie est un ennemi redoutable : si vous lui opposez une décision chamboule-tout, elle vous susurre en sourdine « à quoi bon ? », « est-ce vraiment nécessaire ? », « tu n'es pas bien comme ça ? ». Le doute s'insinue, la décision se fissure. C'est le moment où tout se joue.
Allons-nous écouter cette insidieuse sirène, céder à la tentation de l'immobilisme, nous résigner à une vie à encéphalogramme plat ou bien ignorer ses manœuvres et aller de l'avant ? À nous de décider !
Je l'ai constaté bien des fois : lorsque je la secoue suffisamment violemment de mes épaules, elle s'en va. Mais pas bien loin. Elle guette le moment où je baisserai ma garde, où je commencerai à m'assoupir dans une nouvelle routine.
Force m'est néanmoins de reconnaître que cette ennemie peut être aussi une amie : c'est sans doute sa présence insupportable à la longue qui m'incite à repousser mes limites et à élargir mes territoires...