Poussez, poussez l'escarpolette...
Par l'un de ces clins d'œil dont l'univers n'est pas avare, trois semaines après avoir publié un billet sur la dématérialisation de nos sociétés, voilà que me parviennent de sources diverses des informations allant précisément dans le sens inverse : il semblerait que la tendance soit au retour des publicités papier dans les boîtes aux lettres, car les e-mails seraient de plus en plus jetés à la poubelle par des consommateurs fatigués de la multitude de messages commerciaux arrivant sur leurs appareils. Par ailleurs, des sites apparaissent qui proposent l'impression papier de nos blogs, textos et autres tweets.
On assiste donc à un double mouvement simultané : dématérialisation des transactions administratives, financières et assimilées entre les entreprises/administrations et leurs clients et rematérialisation des mots éphémères que des millions d'entre nous sèment à tout vent, manifestant un besoin de concrétisation physique et de réappropriation sensorielle de contenus que l'on peut à nouveau toucher, voir et sentir.
Cette situation me réjouit parce qu'elle réduit à néant une fausse vérité assénée par de pseudo pandits : la fin du livre. Le succès de plateformes d'auto-publication aux formats électronique et papier comme Amazon et Lulu le montre bien : depuis que tout un chacun a la possibilité d'éviter les obstacles dressés par l'édition traditionnelle, les auteurs sortent de leur placard sur tous les sujets... et trouvent leur public sans passer à la télé et sans entrer dans le système des professionnels de la profession ! La tendance serait donc davantage à la prolifération qu'à l'extinction.
Elle me réjouit parce qu'elle montre que nous commençons à considérer les moyens électroniques comme de simples outils pratiques qui nous facilitent la vie et non comme une panacée universelle qui rendrait obsolètes toutes les façons de faire antérieures et considérerait les gens réticents comme des débiles passéistes et arriérés.
Elle me réjouit parce qu'elle met en lumière la tendance à la répétition des platitudes qui accompagnent toutes les grandes révolutions techniques : les mêmes Cassandre semblent renaître de leurs cendres, siècle après siècle. Les gens allaient mourir de la vitesse époustouflante des premières automobiles et des premiers trains. Internet allait détruire le livre. Les jeux vidéo allaient enfermer tous les jeunes chez eux, etc., etc. En réalité, ces nouveaux moyens ouvrent de nouvelles portes sans en claquer aucune derrière eux. Passé le temps de la méfiance, vient celui de l'engouement puis celui de l'absorption de l'ancien dans le nouveau et de leur transformation réciproque.
Elle me réjouit enfin parce que cet effet de balancier dénonce la conception linéaire de l'évolution des activités et des sociétés humaines. L'état des choses actuel ne nous dit rien de l'état des choses futur. La multitude des variables (connues et encore inconnues) rend illusoire, si ce n'est mensongère, la validité des projections. Ainsi, par exemple, la recherche dans de nombreux domaines est en train d'explorer de multiples pistes révolutionnaires dont le grand public ignore quasiment tout. Qui sait quelle(s) découverte(s) changera/changeront notre vie dans 1 an, 5 ans, 50 ans ?
Notre plan d'existence ressemble à une balance. Lorsqu'un plateau penche dans un sens, l'autre a tôt fait de se dresser pour rétablir l'équilibre. La dématérialisation appelle la rematérialisation. Et l'équilibre est atteint quand les deux coexistent harmonieusement.
Le fléau de la balance est notre capacité à reconnaître et à accepter le mouvement perpétuel de l'ancien vers le nouveau comme un moteur de progrès personnel et collectif (le nouveau d'aujourd'hui devient éternellement l'ancien de demain et ils ne cessent jamais de se nourrir l'un l'autre). Il n'est une calamité que lorsque le refus ou la peur du changement fige un plateau en position basse.