La réalité est-elle une fiction ?
La réalité, nous dit M. Larousse, est le caractère de ce qui n'est ni imaginaire, ni rêvé, ni illusion. Voilà qui a le mérite d'être sans appel... ou pas.
Comment faisons-nous d'abord la différence entre le réel et l'illusion? Par la perception sensorielle. Si nous pouvons voir, toucher, sentir, goûter, entendre un être mobile ou immobile ou bien un objet, il est réel.
Cependant, nous ne doutons pas de la réalité de choses intangibles comme les sentiments et les émotions... peut-être parce qu'ils provoquent chez nous des réactions physiques comme les larmes, le rire, le cœur qui bat la chamade, sans compter leurs conséquences concrètes sur nos vies.
La ligne de partage entre la réalité tangible, perceptible et la réalité intangible, imaginaire n'est peut-être pas aussi nette que le dictionnaire le laisse entendre. Pour moi, par exemple, certains univers littéraires sont à la fois imaginaires et réels et je n'ai aucun mal à faire coexister ces deux réalités sans qu'elles empiètent l'une sur l'autre.
Aujourd'hui d'ailleurs, la réalité se fait virtuelle, que dis-je augmentée, que dis-je mixte* ! Divers outils matérialisent ce qui relevait de l'imagination et nous donnent accès physiquement à des environnements imaginaires ou modifient les éléments du monde réel et nos interactions avec lui. Ici et ailleurs simultanément. Notre réalité est elle aussi en voie de dématérialisation.
Il y a aussi la réalité des personnes dont on nous dit qu'elles perdent la tête. Nous ne la comprenons pas, mais pour elles, elle n'a rien d'imaginaire.
Et bien sûr, il y a la réalité selon la physique quantique, qui remet totalement en cause les vieux schémas, notamment par le fait que l'observateur influe sur l'objet de son observation et par l'interrogation sur la présence ou l'absence des choses en l'absence d'observateur (cf. la philosophie Sāṃkhya, pour laquelle en chacun de nous réside le Puruṣa, la conscience incarnée, le témoin, connaisseur silencieux des expériences de Prakṛti, la nature).
La réalité du dictionnaire serait-elle donc une fiction collective ? Une illusion qui ne devrait sa tangibilité qu'au fait d'être partagée par l'ensemble de l'espèce humaine ? Une sorte d'égrégore ? Oui et non. Une illusion certes sur le plan métaphysique. Mais sur le plan physique, plutôt une perception à la stabilité aléatoire du mirage : de loin elle a l'air solide, mais plus on y regarde de près, plus on s'aperçoit qu'elle change selon l'angle sous lequel on la regarde.
Cette idée d'une réalité à géométrie variable me semble particulièrement en résonance avec les plans de conscience décrits par le Śivaïsme du Cachemire : la réalité sensorielle serait celle de l'état de veille, où tout est objectivé ; la réalité émotionnelle/virtuelle serait celle de l'état de rêve, conscience intériorisée, indépendante du monde extérieur, stable mais illusoire ; la réalité quantique serait celle de l'état de sommeil profond éclairé par la lumière du quatrième état, où les deux précédentes se fonderaient pour ouvrir la porte à une réalité précédemment inimaginable.
Ceci dit, par quelque bout que nous la prenions, notre réalité est ancrée dans la matière : elle en provient et elle nous y attache. La science et la réflexion métaphysique nous en dévoilent pudiquement des aspects, qui nous semblent parfois contradictoires parce que nous ne voyons que des facettes de la boule et non la boule elle-même.
Mais cette boule existe : c'est la réalité ultime de la Conscience du Divin dont tout émane. Très peu de personnes en ont fait ou en font l'expérience de leur vivant, même si des multitudes en ont eu et en ont l'intuition ou le ressenti fugace. Pour le commun des mortels, dont je fais bien évidemment partie, reste la solution d'être conscients que notre réalité est une illusion mouvante, mais fonctionnelle, qu'il convient d'accepter comme telle. Relative mais non absolue.
Les progrès scientifiques et techniques semblent élargir notre cage mais ne soyons pas dupes : il nous faudra ôter les lunettes et les casques en tout genre qui nous abusent pour cesser de nous cogner à ses parois.
Sources :
- Réalité-Virtuelle.com
- Lilian Silburn - Śivasūtra et vimarśinī de Kṣemarāja (traduction et commentaires - Publications de l'Institut de civilisation indienne - Fascicule 47 - Éditions de Boccard)
À voir :
- Professeur Marc Henry - Comprendre la physique quantique
- Dr Quantum - Le petit cercle plat
Ressource : Guide de prononciation sanskrite