Esprit es-tu là ?

Publié le par Jyoti

Un nouveau mot est en train de s'insinuer dans notre vocabulaire : dématérialisation.

C'est un joli mot, dématérialisation : pouf ! là où il y avait quelque chose, il n'y a plus rien. C'est aérien, c'est léger, c'est magique. Personnellement, ça m'arrangerait  de dématérialiser tout ce qui s'entasse dans mon appentis pour m'éviter la corvée de la déchetterie. Ou toutes les choses que je ne sais pas où mettre mais dont le moment de se débarrasser ne semble pas encore venu. Ou les gens qui me cassent les pieds, comme les hommes politiques ou les déités mineures de l'audiovisuel (vous me direz, là on peut déjà, il suffit d'éteindre la télé).

Pour le moment, la dématérialisation concerne avant tout le papier. Le papier, ça s'empile, ça prend de la place, on renverse le café ou le thé dessus, on le perd, on le jette, bref, ça fait désordre et ça crée potentiellement de la confusion. Nous sommes entrés dans l'ère du cyber spiritisme des objets : bientôt nous n'entretiendrons plus avec le papier que des rapports virtuels et éthériques. Tant mieux pour les arbres, vous me direz, on n'en aura plus besoin pour fabriquer de la pâte à papier et des étagères. Moins bien pour les papetiers, les imprimeurs, les fabricants desdites étagères, mais bon, il faut savoir ce que l'on veut !

J'ai l'air de critiquer, de faire ma râleuse (c'était mieux avant, etc.), alors que je pratique la dématérialisation depuis mon premier ordi dans les années 80 et encore plus depuis la mise sur le marché du Kindle, dont je suis une fan inconditionnelle... tout en continuant à acheter des bouquins (je vais même jusqu'à en avoir en double, matérialisés et dématérialisés).

Rien sur cette planète n'échappe à la matière. Elle est matière. D'ailleurs, on ne peut dématérialiser que ce qui a été matérialisé. Cet article que je rédige en ligne, donc dématérialisé, est matérialisé dans un fichier informatique qui est stocké sur une machine située quelque part dans le monde. Il est donc simultanément matérialisé et dématérialisé. Un petit aspirine ? 

Toujours inventifs et poètes, les informaticiens ont baptisé « Nuage » l'ensemble constitué par les serveurs et les réseaux (des infrastructures on ne peut plus matérielles) où nos anciens papiers attendent sagement que nous allions les solliciter. Malheureusement, dans notre univers pragmatique, dématérialiser veut vraiment dire abaisser les coûts des entreprises et des administrations et (théoriquement) en améliorer la productivité (donc les bénéfices). Autant pour la poésie !

Dommage. La dématérialisation, c'est comme la téléportation. Être simultanément ici et ailleurs. Changer d'état à volonté. Être fluide, libéré des contraintes de la forme... Mais bon, résignons-nous, la dématérialisation n'est pas pour nous, êtres éminemment physiques. Enfin, pas dans un proche avenir. En revanche, elle peut nous donner l'occasion de réfléchir : le fait que nous soyons matière signifie-t-il que le matériel doit primer dans nos vies ? Et si nous dé-matérialisions notre conception du monde ?

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