Vertus de la terrassothérapie
Un ami m’a récemment introduite à un traitement totalement naturel et sans aucun effet indésirable : la terrassothérapie ! Ses indications sont doubles : le coup de blues et le besoin de se vider la tête.
Le coup de blues, on connaît tous : je ne suis pas assez ceci, je suis trop cela, rien ne va, même ma tenue favorite tombe mal, personne ne m’aime, personne ne me comprend, etc. En général, en attendant que ça se passe, on a la tête basse et l’œil morne, on est désagréable avec notre entourage, à chaque minute on s’enfonce un peu plus dans l’apitoiement sur soi-même. Des fois on mange trop de trucs sucrés. Des fois on peut aller jusqu’à avancer l’heure de l’apéro. Bref, tout est contre nous et tourne à l’envers.
Dans ce cas, la terrassothérapie s’avère un remède à l’efficacité extrêmement rapide qui ne coûte que le prix de la boisson de votre choix et une bonne dose de mauvaise foi agrémentée d’une pointe de langue de vipère. Elle ne nécessite aucun autre effort physique que de se rendre à la terrasse d’un café et de s’asseoir à une table (les radins ou ceux qui ont des fins de mois difficiles, pourront utiliser la version gratuite : un banc dans un parc ou un autre lieu public). Elle requiert néanmoins de préférence une météo clémente afin de voir défiler un maximum de gens.
Car tout le secret est là : vous êtes assis(e), tranquille, vous et vos multiples carences et défauts invisibles à l’œil des passants, mais les leurs éclatants à vos propres yeux. L’idée de base est de chercher dans la foule les personnes dont vous jugez le physique bien plus moche que le vôtre (si vous avez la bonne dose de mauvaise foi, c’est un jeu d’enfant !). Si vous doutez de vos capacités intellectuelles, rassurez-vous en prêtant l’oreille aux conversations de vos voisins. Tout aussi imparable !
La terrassothérapie du coup de blues ne libère tous ses principes actifs que si vous admettez votre part de noirceur intime. Si vous êtes du genre vertueux qui ne dit (ni ne pense) jamais rien de peu flatteur à propos de ses semblables 1) je ne vous crois pas, 2) dites-vous qu’on est toujours le remède terrassothérapeutique de quelqu’un à un moment ou à un autre. Comme ça, vous pourrez déblatérer intérieurement sur les autres sans avoir le sentiment de déroger à vos principes.
La terrassothérapie est tout aussi efficace dans le vidage de tête. Simplement, au lieu de ricaner sur tous ces gens qui ne vous ont rien fait, vous sirotez votre boisson et laissez l’humanité aller et venir devant vous, sensible uniquement à une impression globale dont vous refusez d’imprégner votre cerveau. Si une forme ou une couleur veut attirer votre attention, prétendez qu’elle n’existe pas. L’efficacité maximale est atteinte quand vous n’avez pas de voisins, ou qu’ils se taisent ou que vous êtes habile à transformer les paroles insipides en brouhaha indistinct.
Une seule contre-indication à ce traitement : la campagne. Si vous habitez au milieu des bois ou des champs, ça ne marche pas bien avec les oiseaux et les vaches, sauf éventuellement pour le vidage de tête (ou alors vous avez vraiment un problème). Et puis, attention quand même à l'effet boomerang : ce que nous reprochons aux autres est souvent ce que nous nous reprochons à nous-mêmes sans vouloir nous l'avouer.
La prochaine fois que le rose de votre vie prendra un air délavé, essayez une petite dose pour voir si le remède vaut mieux que le mal ! En cas d'échec, vous pourrez aussi répéter mentalement le mantra de Maurice Chevalier, « Dans la vie faut pas s'en faire, moi je ne m'en fais pas. Toutes ces petites misères seront passagères, tout ça s'arrangera ! ».