Le son du silence
Le silence est à la parole ce que le noir est à la couleur : une absence. Mais une absence précieuse, si l’on en croit le vieil adage « le silence est d’or ». Alors que nous sommes des êtres de langage et que nos vies débordent de mots, pourquoi prôner le silence ?
Nos paroles créent nos mondes respectifs. Les mots donnent des formes, définissent des règles, fixent des contours. Fils aux multiples et diverses couleurs, ils tissent notre vision personnelle du monde déformée par le filtre de nos perceptions, de nos émotions, de nos sentiments, de nos convictions, de nos croyances, de nos peurs, de nos désirs et de nos espoirs. Tel que nous l’utilisons, le langage est un outil imparfait, source de malentendus et d’incompréhension. Nous projetons sur les mots de nos interlocuteurs nos propres images, créant une réalité illusoire dont nous sommes les premières victimes. Alors pourquoi s’entêter à parler ?
Une récente expérience de silence de plusieurs heures dans un groupe m’a donné la réponse : à deux ou trois exceptions près, les visages se sont fermés et les gens se sont repliés sur eux-mêmes. Ne pas parler pour écouter sa voix (ou son silence) intérieure, très bien, mais pourquoi ne pas sourire ? L’absence d’échanges verbaux a signifié l’absence d’échanges tout court. Comme si le silence avait détissé la communication et projeté les personnes dans l’isolement. L’idée de départ était pourtant simplement celle d’un temps de recueillement et d’intériorisation.
Les relations entre les êtres seraient-elles donc subordonnées à la parole ? Nous n’aimons pas que nos interlocuteurs se taisent. Un silence qui dure nous met mal à l’aise. Il nous inquiète. Que peut-il bien cacher ? Si nous ne nous parlons pas, c’est que nous n’avons rien à nous dire et alors que faisons-nous ensemble ? La communion dans un silence librement consenti ne vient pas spontanément à la majorité d’entre nous.
Cette brève expérience m’a également enseigné autre chose : nous parlons pour nous rassurer et nous tenir chaud. Elle m’a aussi fait réaliser que beaucoup des paroles que nous prononçons ne sont que du bruit sans conséquence que nous pourrions aisément épargner aux autres et à nous-mêmes. Le silence m’a donné envie de réserver la parole aux choses qu’il est vraiment important de partager. Rappelons-nous que le regard, les gestes, le sourire parlent eux aussi et que bien souvent ils pourraient suffire.
Finalement, parler c’est aussi savoir se taire… et c’est une bavarde qui vous le dit !