Notre propre devoir
« Mieux vaut accomplir, même imparfaitement, son propre devoir [svadharma] qu’accomplir, même parfaitement, celui d’autrui. » (Bhagavad gītā, 3.35)
Loi de perfection éternelle, le dharma préside à l’ordre cosmique. Conformément au principe d’identité du microcosme au macrocosme, il s’applique donc en « descendant » à l’ordre social, puis à l’ordre individuel, deux plans où il prend le sens de « devoir » au sens d’obligation de respecter la loi (j’ai effleuré la notion de dharma – sujet inépuisable s’il en fut - dans des articles antérieurs).
Mais que faut-il entendre par « propre devoir » ? Pour moi, c’est apprendre à se regarder avec lucidité et être fidèle à soi-même : nous avons tous au plus profond de nous un fil conducteur qui sous-tend notre vie et nous guide, même s’il faut souvent atteindre la maturité pour le distinguer. Au quotidien, il pourra prendre la forme d’une activité dans laquelle nous excellons, même si ce n’est pas grâce à elle que nous gagnons notre vie. Ou d’un intérêt passionné pour une discipline que nous ne pratiquons pas. Accomplir son propre devoir, c’est ne pas enterrer un talent sous les mots « il est trop tard » ou l’étouffer par manque de confiance en soi. C’est s’accomplir soi-même, autrement dit autoriser tous les pétales à s’ouvrir pour que la fleur qui est notre Cœur puisse enfin dévoiler sa beauté et exhaler ses fragrances.
En ce sens, la tâche n’est pas facile. De nombreuses embûches nous guettent en chemin telles que la tentation de facilité et l’envie de nous fondre confortablement dans la masse. Si nous restons sourds à la voix de notre intuition lorsqu’une décision importante s’impose, nous risquons l'enlisement dans les marécages de l’insatisfaction. La perfection est un but, l’imperfection est notre lot. Si notre devoir est de nous réaliser nous-même, tout ce que nous accomplirons en ce sens sera imparfait mais illuminé par l’intention de perfection.
Accomplir parfaitement le devoir d’autrui, en revanche, revient à endosser un costume mal taillé, adopter une conduite ou un mode de vie subi ou imposé. Par exemple, reproduire à l’identique la vie de ses parents ou bien se lancer dans une profession qui ne nous convient pas pour ne pas entrer en conflit avec notre famille ou notre groupe d’appartenance ou bien encore se nier soi-même au nom d’une tradition interprétée étroitement. La perfection ici est illusoire. Les gestes impeccables, les propos irréprochables ne sont qu’une façade derrière laquelle la personne est en péril de mourir à elle-même.
Notre premier devoir, me semble-t-il, est envers nous-mêmes. Nos actions et nos décisions propagent autour de nous des ondes positives si nous choisissons la voie de l'épanouissement, négatives si nous choisissons celle du flétrissement. La Conscience qui nous anime nous offre une voie d’expansion susceptible de nous amener à transcender nos limites. Mener la vie d’autrui, accomplir le devoir d’autrui, même parfaitement, nous enfonce dans les ténèbres de l’ignorance car nous n’avons rien découvrir et à inventer. Mener notre propre vie, accomplir notre propre devoir, même imparfaitement, nous permet de découvrir, d’apprendre, de comprendre. D’attiser notre lumière intérieure.