Souplesse
Comme un coup de vent s’engouffre violemment par une fenêtre ouverte et envoie tout voler sur son passage, le mot « souplesse » prononcé innocemment par ma prof de yoga, m’a mise brutalement en face de… mes rigidités.
La souplesse physique n’a jamais été mon fort, rien de nouveau à cela, alors pourquoi un tel ébranlement ? J’ai pris conscience que la raideur que je manifestais dans les postures avait moins à voir avec mon corps qu’avec la façon dont je me vis dans le monde : en état de tension permanent. Tellement permanent qu’au fil du temps il m’a fabriqué comme un exosquelette invisible.
D’après ce que j’entends ici et là, je ne suis pas un cas unique. À quoi peut donc bien servir cette rigidité ? Quel que soit le détail de nos histoires respectives, elle me semble exprimer le besoin à peine conscient de se protéger contre un monde extérieur perçu comme potentiellement hostile, si ce n’est contre soi-même (« si je lâche, que va-t-il m’arriver ? », « je m’interdis …. », « cet aspect de ma personnalité ne doit pas s’exprimer », etc.).
La rigidité est utile quand elle est maîtrise : pour tenir fermement les rênes de sa vie, une certaine tension est nécessaire. Bien dosée, elle nous laisse la flexibilité du gratte-ciel qui oscille de quelques millimètres dans le vent.
Mais vient un moment où l’exosquelette se grippe et où nous nous apercevons que son sens s’est perdu et qu’il nous encombre ou nous entrave. La protection que nous en attendions est devenue un carcan, parfois même physiquement douloureux.
Amadouer nos rigidités pour mieux les dissoudre n’est pas simple : elles se sont accumulées au fil des années, des décennies, nous avons du mal à toutes les discerner tellement nous y sommes habitués.
Il faut alors entamer un long chemin, dont l’introspection me paraît être le premier pas : faire notre état des lieux afin de déceler un maximum de ces tensions qui nous raidissent, de ces crispations qui nous bloquent. Sans tomber dans une simplification réductrice et stigmatisante (« les gens psychorigides sont raides dans leur corps » ou inversement « la souplesse du corps est à l’image de la souplesse intérieure »), il est vrai que la raideur douloureuse des articulations ou du dos, par exemple, peut parfois manifester un blocage mental ou psychologique. L’introspection permet de commencer à démêler la pelote en espérant attraper le fil qui nous éclairera sur « ce qui coince ».
Parallèlement, gardons constamment à l’esprit le double sens d’expressions comme « en avoir plein le dos » pour prendre conscience des crispations inutiles dont nous lardons les gestes du quotidien et les laisser aller. Si quelqu’un ou quelque chose nous met en tension, peut-être vaut-il mieux affronter la situation que tenter de nous mettre hors d’atteinte en transformant notre corps en une plaque rigide sur laquelle nous espérons que les « coups » viendront rebondir.
Et puis bien sûr, il a le yoga, la méditation, le yoga nidrā et toutes les autres pratiques qui nous engagent sur la voie d’un lâcher-prise au-delà du corps et de l’esprit.
Au bout de la route, dans cette vie ou dans une autre, nous finirons par nous ouvrir à l’expérience de l’union avec la Conscience suprême où rigidité, souplesse et tout le reste s’évaporent dans le bienheureux abandon à sa totale liberté.
Mais soyons pragmatiques : en attendant, il nous faut œuvrer avec les moyens du bord. Prenons conscience des tensions nécessaires et ne craignons pas de lâcher les autres. Soyons le roseau qui plie mais ne rompt pas de La Fontaine. Il n’y a pas de souplesse, intérieure comme extérieure, sans abandon et il n’y a pas d’abandon sans confiance. Confiance en nous, confiance dans les courants de l’Univers qui nous portent.