Tempus fugit (suite)
Vivre dans l’instant présent…. Quel beau programme… mais ô combien difficile à appliquer ! Comprimé entre le passé et l’avenir, le présent en prend les couleurs au point d’en devenir presque indistinct.
Découvrant un paysage, par exemple, nous allons dire « C’est superbe, ça me rappelle… ». Et hop, le passé a pris la main et le paysage d’hier floute le paysage d’aujourd’hui. Plus courant encore, à table entre amis, les repas passés et à venir s’invitent dans la conversation et nous cessons de prêter réellement attention à ce que nous avons dans notre assiette. Je suis en train d’écrire et en même temps, je pense à ce que je vais faire après, etc., etc.
Pourtant, le passé et l’avenir méritent qu’on s’en méfie. Le passé n’est que l’accumulation de bribes d’événements terminés, parfois depuis très longtemps, sélectionnées de manière émotionnellement subjective. Confrontez un de vos souvenirs à celui du même événement d’une autre personne et vous aurez souvent l’impression que vous ne parlez pas tout à fait de la même chose. Quant à l’avenir, c’est le lieu de l’imagination débridée, où se lâchent toutes nos peurs et tous nos espoirs.
Prisonniers de notre condition qui nous lie au temps linéaire, nous sommes contraints de vivre avec la notion d’une succession passé-présent-futur. Après tout, ce n’est peut-être pas si pire : le passé c’est aussi l’expérience et le futur, les projets ou la lumière au bout du tunnel. D’accord, de toute façon nous pensons ne pas avoir le choix, mais le présent dans tout ça, quand il n’est pas tiré à hue et à dia par le passé et l’avenir, à quoi peut-il ressembler ?
Vivre dans l’instant présent, c’est vivre en conscience, c’est focaliser notre attention sur ce que nous sommes en train de faire, sur les propos de notre interlocuteur, sur le ici et maintenant. Quand je vis dans l’instant présent, les peurs que m’inspirent l’avenir disparaissent, tout comme les boulets que le passé attache à mes chevilles.
Nous constatons, au premier chef sur nous-mêmes, une évolution au fil du temps, mesurée à l’échelle de notre mortalité. Mais les notions de passé et d’avenir dont nous l’affublons sont des constructions mentales, utiles certes au niveau fonctionnel, mais illusoires dans leur réalité. Seul le présent existe et les moments de présent se succèdent à l’infini.
Paradoxalement, vivre l’instant présent demande un effort de concentration car cela nécessite d’être là alors que nous avons pris l’habitude d’être perpétuellement ailleurs. Personnellement, je fais ce petit exercice de temps en temps (pas assez souvent !) : je regarde les objets qui m’entourent en les nommant dans ma tête. J’observe leur couleur, leur forme, leur emplacement. Si je suis en train de prendre une douche, je suis attentive à la sensation de l’eau, par exemple, au lieu de laisser mon esprit dériver vers le plan du reste de la journée. J’accorde toute mon attention au moment que je vis. Et ce faisant, j’ouvre un espace libre d’émotions entravantes. Je me délie.
Peu importe la méthode. En ces périodes perturbées où les nouvelles de catastrophes réelles, éventuelles et imaginaires pleuvent de toute part, il est important de penser à s’offrir le plus souvent possible ces moments de présent, ces moments de paix, qui aident à affronter et à relativiser la tourmente.
Les grands bouleversements sociologiques et politiques que nous connaissons depuis plusieurs décennnies ont montré leurs limites et engendré davantage de chaos que d’avenir radieux. Plonger dans le retour vers l’intérieur de la méditation ou vivre les moments du quotidien au présent sont des pratiques détachées de toute idéologie et de tout dogme (un luxe par les temps qui courent) qui nous réalignent sur l’essentiel.
Comme je suis naïve, optimiste… et pragmatique, je suis convaincue qu’apprendre à vivre au présent est bénéfique au niveau personnel puisque cela nous délivre des liens qui nous enchaînent au passé et à l’avenir et de la souffrance qui va avec, et au niveau de l’humanité, car l’accumulation des pas de fourmis finira par se transformer en un pas de géant ou, pour reprendre à ma façon la phrase de l’astronaute Neil Amstrong « un petit pas pour l’homme est un grand pas pour l’humanité ». Alors, n’hésitons pas à nous mettre en marche, la route va être longue !