Le Diable
Le Diable est le maître des faux-semblants, le grand manipulateur. Il porte les attributs pervertis d’autres arcanes afin d’apparaître à nos yeux pour ce qu’il n’est pas et nous tromper. Le bélier, attribut de l’Empereur est évoqué par les cornes de bouc, symbole traditionnel de Satan. Les ailes de l’archange des Amoureux sont devenues des ailes de chauve-souris. Le geste de bénédiction du Hiérophante est moqué. La position des bras parodie le Magicien : la main ouverte ne peut plus capter l’énergie divine et le bras dirigé vers le sol ne peut plus la transformer en création. La main enserre d’ailleurs une torche, pâle simulacre du soleil qu’irradie la carte des Amoureux. Plutôt qu’éclairer, cette torche semble alimenter le feu (de la luxure) qui embrase l’extrémité de la queue de l’homme. Les deux personnages, eux aussi animalisés, sont enchaînés mais heureux car ignorants de la réalité de leur état : il les a convaincus qu'il détient la lumière et les clefs du bonheur.
Le Diable représente la matérialité dans ce qu’elle a de plus asservissant, l’oubli de tout ce qui peut nous tirer vers le haut et le rappel de tout ce qui nous tire vers le bas. Il est l’ignorance ou, pire encore, l’illusion de la connaissance.
Mais il est aussi la force brute de la vie, celle-là même qui amène les être à se reproduire. Son énergie sombre est aussi puissante que l’énergie radieuse du soleil. En fait, elle en est même indissociable. Obscurité et lumière alternent en nous comme dans le monde qui nous entoure. Nous portons tous ce « côté sombre de la Force », qui conduit à l’aveuglement vis-à-vis de nous-mêmes, des autres et des situations.
Rencontrer le Diable dans un tirage est un signal d’alarme qui doit nous pousser à remettre en cause notre vision du monde, notre façon de penser, la manière dont nous gérons les situations. À « y voir clair » pour nous arracher à l’obscurité de la routine et des schémas de comportement répétitifs, par exemple.
Si nous n’y prenons pas garde, le Diable est assez puissant pour annihiler nos efforts vers la lumière et la compréhension. Sa présence appelle à la vigilance car le bonheur qu’il nous propose est illusoire. Prisonniers volontaires de son domaine souterrain, nous ne pouvons que végéter car il nous prive de la lumière du soleil-connaissance et de l’eau-conscience.
Il nous rappelle aussi les risques qu'il y a à laisser notre « animalité » prendre le dessus, c’est-à-dire si nous n’obéissons qu’à nos instincts primaires, si nous renonçons à notre libre arbitre, si nous préférons des chaînes familières à l’absence de chaînes, si nous abandonnons à d'autres les rênes de nos vies. En d’autres termes, si nous nous comportons en « bétail ».
Là où les Amoureux sont le choix éclairé, le Diable est l’impossibilité de choisir et donc d’évoluer. En ce sens, il est la voie de la stagnation et de l’immobilisme. La vie étant dynamisme et changement, il devient alors une voie de mort intérieure.
N’oublions pas que le Diable est un ange déchu. Il connaît parfaitement toutes les règles du jeu. Cette part de nous-mêmes sait jouer de nos failles et de nos faiblesses pour nous faire croire que nous faisons les bons choix. Elle est dangereuse, car c’est la voie de la facilité et de l’endormissement intellectuel. Mais c’est par sa dangerosité même qu’elle nous est utile et qu’elle constitue un facteur d’épanouissement : elle impose de demeurer en éveil, de ne pas céder à l’appel des sirènes, quelles qu’elles soient.
Le Diable arrive à la fin du cycle, après quatorze cartes qui nous conduisent sur un chemin de transformation intérieure et « trempent » notre être au feu de la Connaissance. À ce titre, il peut apparaître aussi comme une épreuve initiatique : oublier tout ce que nous avons appris, pour le redécouvrir (l’Etoile), l’intégrer (la Lune), retrouver la voie de lumière (le Soleil), renaître purifié (le Jugement) et atteindre l’harmonie (le Monde).
Le Diable, nous y sommes confrontés au quotidien dans nos vies : chaque fois que nous prenons pour argent comptant ce que racontent les médias, chaque fois que nous cédons à la facilité de la pensée unique, chaque fois que, pour nous fondre dans le troupeau, nous renonçons à faire preuve d’esprit critique. Il n’existe que parce que nous le voulons bien… et non parce que nous le valons bien !
Si l’on en croit la tradition, le feu du Diable n’éclaire pas, il brûle pour châtier. Mais retournons la situation : puisque le Diable, c’est nous, levons plutôt la torche pour éclairer nos zones d’ombre et nos faiblesses et utilisons son feu pour brûler tout ce qui obscurcit notre entendement.
Mots clés : enfermement, manipulation, stagnation, poids excessif du matériel, manque de lucidité, refus de changer, tendance à laisser les autres décider pour soi ; opportunité de prise de conscience apte à remettre la personne sur le chemin de son évolution personnelle ou d’une prise d’autonomie