Conte d’éternité
Au début, il n’y avait rien : ni temps ni absence de temps, ni espace ni absence d’espace, ni objets, ni absence d’objets. Rien et pourtant Tout. Il y avait Cela, à la fois Absolu, Conscience et Énergie. Cela est l’Unité indivisible qui préexiste à l’univers. On ne peut dire que ce qu’il n’est pas car la nature même de son existence restera à jamais une énigme.
Impossible pour nous de concevoir la réalité d’une telle abstraction. Alors, nous lui donnons nom et forme. Je lui donnerai celui de Śiva, mais il en a beaucoup d’autres.
Un jour - mais il n’y a pas encore de jours - un frémissement imperceptible se manifeste en lui. Ce frémissement devient une vibration dont les ondes s’étendent et ralentissent progressivement donnant naissance à une matière de plus en plus dense, à l’espace, au temps. À notre univers. À nous. Aux briques de la parole.
L’unité est devenue multiplicité. Parce que Śiva aime jouer, usant de sa totale liberté, il a jeté entre nous et lui, entre nous et notre véritable nature, le voile de Māyā, la magicienne, la maîtresse de l’Illusion, et nous avons oublié d’où nous venons. Nous en sommes venus à penser que les formes multiples de la vie sont juxtaposées, sans rien qui les relie. Unités isolées dans un monde frappé de changement permanent qui constitueraient l’unique réalité.
Nous ne reconnaissons plus l’omniprésence de Śiva alors qu’il est impossible d’en être séparés puisqu’il est la source même de notre présence ici et que rien dans l’univers ne peut être, dans son essence, autre que lui.
Sous une forme ou sous une autre, plus ou moins obscurément, nous ressentons la souffrance du fractionnement et nous aspirons à retrouver le chemin qui nous ramènera à cette unité, à cette source, au royaume du Seigneur du sommeil, là où tout se résorbe pour mieux renaître.
À notre niveau de conscience, le monde dans lequel Māyā nous maintient asservis et dans l’ignorance ne ressemble pas à une illusion : il est à notre image, transitoire, éphémère mais aussi bien concret : si nous nous cognons, nous avons une bosse et ça fait mal. L’illusion, c’est de penser que la réalité est toute entière contenue dans une bosse sur le front. Que notre niveau de conscience est le seul possible et non celui auquel les limitations de notre condition nous condamnent.
Depuis la nuit des temps, l’Homme sent intuitivement qu’il y a « autre chose ». Cet « autre chose» a pris de nombreuses formes et de nombreux noms au fil des millénaires. Le rationnalisme excessif sous le joug duquel nous vivons depuis deux siècles a tenté et tente toujours de lui tordre le coup en le traitant de fadaises ou de superstitition. Pourtant, il résiste. Et comment pourrait-il en être autrement puisqu’il s’agit de notre Nature même ?
Notre liberté à nous, c’est de choisir. J’ai choisi de lever un coin du voile et cela en valait plus que la peine. Libre à d’autres de ne pas voir le voile ou de se satisfaire de sa présence. Pour ma part, je dirai simplement que les couleurs du monde sont plus belles et que la vie est plus vaste quand on retrouve le chemin de cette Conscience.
« Śivo ‘ham ». Je suis Śiva.