Un, deux, trois, soleil !
La première chose que l’on remarque lorsque l’on regarde autour de soi sans faire un grand effort, c’est que tout notre environnement marche par deux : le jour et la nuit, la lumière et l’obscurité, l’agréable et le désagréable, le chaud et le froid, l’amour et la haine, etc., à l’infini. Si on s’arrête là, notre vision du monde se fige dans le binaire. Chaque chose a son contraire ou son complément. Mais le résultat est le même : un fractionnement sans fin car chaque chose peut elle aussi se diviser en deux, à l’instar de nos cellules.
À deuxième vue, cette dualité paraît nous enfermer soit dans un phénomène répétitif infini, soit dans une complémentarité figée, soit dans l’antagonisme. Certes, le chaud refroidit et le froid se réchauffe, la lumière s’assombrit et l’obscurité s’éclaire, mais bon, les possibilités d’évolution sont limitées. Le chaud deviendra toujours froid si on attend un peu et le froid se réchauffera toujours pourvu qu’on le mette au soleil ou sur le feu. Impasse. Répétition. Si nous ne voyons pas plus loin, nous tournons en rond comme des rats de laboratoire dans leur cage.
À troisième vue, on réalise que pour sortir d’une dualité stérile, il existe un moyen simple : le trois. La dynamique de l’interaction des deux élements de la dualité donne naissance à autre chose qui tient d’eux sans être eux. Une femme + un homme = un enfant vient tout de suite à l’esprit si on a dépassé l’âge des choux et des cigognes. Notre espèce entretient une relation intime avec le trois : c’est la quantité que nous appréhendons spontanément sans avoir besoin de compter comme l’explique Georges Ifrah dans son « Histoire universelle des chiffres » (faites l’exercice, vous irez peut-être jusqu’à quatre, mais après, vous direz comme moi « beaucoup » !).
J’aime le trois parce qu’il ouvre sur l’infini : c’est l’enchaînement des cycles « création-maintien-résorption/absorption » dont je parle tout le temps parce qu’il m’apparaît fondamental. En ce sens il m’évoque à la fois l’impermanence (« tout passe, tout lasse », mais aussi « si ça va mal aujourd’hui, ça ira mieux demain ») et la permanence puisque la fin de quelque chose marque toujours le commencement d’une autre. Dans les deux cas, il me rassure et me porte.
À lui seul, il symbolise tout ce qui sous-tend notre univers physique et subtil : le triple temps (passé, présent, futur), les trois mondes (la terre, l’atmosphère, le ciel), les trois états de la conscience (veille, rêve et sommeil profond), les trois guṇa du Saṃkhya (sattva, rajas, tamas), les trois doṣa (vāta, pitta, kapha) de l’āyurveda… pour l’hindouisme, par exemple, mais aussi dans les traditions chrétienne et hébraïque.
Si le deux laissé à lui-même tend à se figer dans la répétition, si le trois enclenche une évolution dynamique, qu’est-ce donc que le un ? Il les contient tous les deux, ils n’existent que par lui.
Le deux est le produit de l’émanation ou de la division du un. Le trois crée un nouveau un d’où surgit à nouveau un deux, dans un mouvement infini.
Sans le un, le point, le bindu, Kether, Śiva, rien ne se perd, rien ne se crée, rien ne se transforme. Si le zéro est la Conscience absolue, lieu sans existence physique ou temporelle de tous les potentiels, le un ouvre le bal de la manifestation, c’est-à-dire nous et ce qui nous entoure.
Au-delà de la dualité, de la triplicité et de la multiplicité qu’elles engendrent, c’est sur l’unité qu’il convient de fixer notre regard.