On the road again
Hier, j’ai pris la route pour me rendre à plus de deux heures de mon domicile. Sur le chemin du retour sont remontés à la surface les deux souvenirs d’enfance qui ont (r)éveillé chez moi le goût du voyage : vers 8-9 ans, le départ à 5h00 du matin de la banlieue parisienne en direction du sud de la France dans la Dauphine familiale ; l’arrêt pour le petit-déjeuner dans un café au bord de nationale 7 et le croustillement de la baguette beurrée ; la nuit à l’hôtel (on descendait en deux jours). Et puis le nez collé à la vitre à regarder défiler le paysage, sans penser à rien, hypnotisée par le pur plaisir du déplacement.
Après les voyages avec les parents, il y a eu le stop. J’avais 16 ans quand je suis partie, seule, la première fois. La Grande-Bretagne, l’Irlande et l’année d’après aussi l’Italie, la Yougoslavie, la Grèce. Le monde était jeune alors, plein d’optimisme, et je n’avais peur de rien ni de personne.
Sortie de la banlieue parisienne, direction l’Irlande. Plantée sur le bord de la route avec mon sac minimaliste acheté aux Puces sur un stand de stocks de l’armée américaine. Pouce levé, une sensation de totale liberté, de total détachement. Retrouvée intacte près de vingt ans plus tard quand j’ai retenté l’expérience.
Depuis longtemps, j’ai une voiture. Le plaisir du voyage pour le voyage a toujours la même saveur. Lancée sur l’autoroute, j’avale les paysages. Très souvent, la vue est vaste et dégagée et je me sens en totale osmose avec tout cet espace. Sur les nationales ou les routes de campagne, le sentiment est plus intime. Mon passage s’imprime fugitivement dans le tissu de l’espace-temps des villes et des villages que je traverse, telles nos vies dans l’univers. Instants fugaces où nous allons exister, existons et avons existé dans quasiment le même souffle. J’aime ce sentiment de non-appartenance, de ne faire que passer. Pour les gens dans la rue, je ne suis qu’une forme à la périphérie de leur vision, sitôt entraperçue, sitôt oubliée. Moi, je les remarque, ne serait-ce que pour ne pas risquer de les blesser. Les maisons qu’ils ne voient plus depuis longtemps à force de passer devant, je les trouve belles ou pas. Le bref temps de mon regard extérieur, les contours de leur univers familier se font plus nets, les couleurs retrouvent leur éclat.
Je comprends ces retraités américains qui troquent leur vie « d’avant » pour un camping-car et partent sur les routes. Voyager, ce n’est pas se rendre d’un point A à un point B. Ce n’est pas « faire » tel ou tel pays et prendre 3 000 photos que l’on publie sur Instagram ou oublie sur son ordinateur. C’est s’ouvrir à l’inconnu. C’est jouer la carte du Fou. Pour cela, il n’est pas nécessaire d’aller au bout du monde. C’est tout simplement une question d’attitude.