Les portes de la perception
Si l’on nettoyait les portes de la perception, toute chose apparaîtrait à l’homme sous sa vraie nature, Infinie. Car l’homme a dressé un tel mur autour de lui-même qu’il ne voit toutes choses qu’à travers les étroites fissures de sa caverne.
Le monde existe-t-il lorsque nous ne le percevons pas ? Bien sûr ! allez-vous me dire. Quelle question ! Il suffit d’allumer la télé. Et puis, je viens de recevoir un coup de fil de l’autre bout de la France. Comment cela serait-il possible si l’autre bout de la France n’existait que lorsque j’y suis moi-même ? N’empêche qu’il y a plein d’endroits dont j’ignore l’existence (et qui donc en se sens n’existent pas) parce que je ne les … vois pas, parce que je n’en fais pas l’expérience avec mes sens.
Pour que notre environnement prenne forme, nous devons pousser nos « portes de la perception » : le toucher, l’ouïe, l’odorat, le goût et la vue, laquelle nous permet en plus de l’appréhender en trois dimensions : la hauteur, la largeur et la profondeur.
Les sens ont des capacités limitées (par exemple, nous ne voyons qu’une petite partie du spectre lumineux, entre 400 et 700 nm) qui en plus diffèrent selon les espèces. Pourtant, l’interprétation instantanée par notre cerveau des messages qu’ils nous transmettent influe souvent sur notre jugement, nos décisions, nos émotions. Nous faisons de nos perceptions un socle solide et incontestable : les choses sont comme ci et pas comme ça. Ce qui est blanc n’est pas noir. Certes. Mais pour le daltonien, ce qui est rouge n’est pas rouge, ce qui est vert, n’est pas vert. Quelle est la « véritable » couleur d’une pomme ? Pour nous elle est rouge ou verte ou jaune, pour le chat, elle est toujours grise…
L’apparence du monde qui nous entoure est donc celle que nos sens nous permettent de percevoir et varie selon l’observateur : d’un être humain à l’autre, d’un animal à l’autre, d’un insecte à l’autre, d’un être humain, à un animal, à un insecte, etc.
Ouh la la, ça commence à tanguer ! Non seulement il se pourrait que le monde n’existe que lorsque nous le percevons et en plus nous ne le percevons que de façon limitée et il n’est pas pareil pour tout le monde ? Alors, il ne se confinerait pas à une rassurante réalité bien solide, mais serait composé d’une multiplicité de facettes changeantes qui coexistent et se superposent à tout moment et en tout point ?
L'être humain fonctionne avec les mêmes cinq sens. Donc nous percevons grosso modo le monde de la même façoŚn. Donc ce monde existe pour nous sous la forme dont nous le percevons. Sa réalité s’arrête néanmoins aux limites de nos capacités sensorielles. Et son existence cesse lorsque notre conscience est privée des moyens de le percevoir (par exemple, dans l'état de sommeil profond).
Imaginons vivre à la Préhistoire. Sans autres moyens de connaissance de leur environnement que leurs sens, le monde de nos ancêtres s’arrêtait aux confins de leur territoire perceptible. L’évolution de notre intelligence a engendré la curiosité qui, alliée à la nécessité, a poussé notre espèce à aller voir plus loin ce qui s’y passe… et à créer le monde à mesure de ses déplacements !
À l’instar de Śiva, mais au niveau de notre plan de conscience, nous créons le monde lorsque nous ouvrons les yeux et nous le détruisons lorsque nous les fermons (« as above so below » ou « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas et ce qui est en bas est comme ce qui est en haut ». Mais ça, c’est une autre histoire…).
L’important dans tout ça, c’est la conscience. Sans conscience, pas d’interprétation des messages. Sans conscience, impossible de nous désengluer de notre vision limitée et d’envisager d’autres dimensions, une autre réalité possible. Des traditions spirituelles millénaires comme l’hindouisme l’ont dit, des écrivains l’ont imaginé, la physique quantique le démontre : notre réalité n’est qu’UNE réalité, pas LA réalité. La Réalité dans son essence est inconcevable à l’aide des sens. Son expérience, ou même simplement son intuition, nécessite de se dégager des plans de conscience induits par les perceptions sensorielles et d’accéder à un univers totalement différent, où elles n’ont plus de raison d’être.
Aujourd’hui , le doigt du métaphysicien et celui du scientifique se touchent et l’énergie qui les traverse et les anime est la même.
Profitons-en pour nettoyer les portes de notre propre perception et voir plus loin, plus clair, autrement. Comme le petit cercle plat, prenons le risque de prendre de la hauteur, quitte à en avoir le tournis, et abandonnons-nous à l’ivresse vertigineuse des nouveaux espaces qui nous sont offerts.